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et industriels. Arthur Young ne se trompait pas sur cette relation entre les libertés et la prospérité territoriale : « C’est près de Bouchain, écrit-il, que commence la ligne de démarcation entre la culture française et la flamande : d’où il suit que la ligne de démarcation entre les deux agricultures s’accorde exactement avec l’ancienne ligne qui séparait les deux états. La division reparaît toujours entre le despotisme de la France qui déprimait l’agriculture et le gouvernement plus libre de ces provinces qui la développait. Cette distinction ne vient pas du sol, car il n’est guère permis d’en trouver un plus beau que celui de la vaste et fertile plaine qui s’étend presque sans interruption jusqu’à Orléans ; mais la plus grande partie est honteusement négligée. » Cette vie municipale et ces garanties plus grandes qui agissaient sur les esprits et sur les volontés agiront aussi sur le sol.

C’est encore un intendant qui, dans un rapport également destiné au duc de Bourgogne, trace le portrait des Flamands avec une spirituelle exactitude. Il les montre « presque tous gros, gras et grands, la jeunesse d’une belle venue, tous d’un naturel pesant et lent dans la manière d’agir, cependant très laborieux tant pour la culture des terres que pour les manufactures et le commerce, qu’aucune nation n’entend aussi bien qu’eux. Ils sont fort ennemis de la servitude et grands amateurs de la liberté : on les gagne plus aisément par la douceur que par la force. Ils aiment et haïssent tout différemment de nous. Ils se fâchent aisément et se réconcilient de même ; jamais bien sensibles à aucun égard, ils se consolent de tout ce qui pourrait leur arriver de pis ; ils ont de l’esprit et du bon sens sans avoir l’imagination vive. C’est peut-être pour cela qu’ils aiment à boire entre eux, à faire leurs affaires et leurs marchés le verre à la main, et ils le font si bien qu’ils trompent quelquefois ceux qui croient être plus fins qu’eux. » Le même ajoute : « Ils sont fort attachés à la religion catholique et principalement aux dévotions monacales ; ils sont exacts à la messe et aux sermons, le tout sans préjudice du cabaret, qui est leur passion dominante. » Déjà pourtant le même intendant remarquait un certain progrès moral des habitudes : « Il était autrefois assez ordinaire à la populace, dans la chaleur de la débauche, de se battre à coups de couteau, et ils se tuaient impunément ; les coupables se sauvaient aussitôt dans les églises, où ils étaient à couvert des recherches pendant que leurs amis négociaient leurs accommodemens ; mais connue le crime n’a point cette ressource sous la domination du roi, les homicides y sont présentement plus rares. » Autre trait non moins caractéristique : « Les Flamands naissent tous avec du courage, mais ils n’aiment point la guerre, tant parce que la fortune ne s’y l’ait point