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dans leur santé aiment presque toujours mieux se taire. Elles savent qu’on se moquerait d’elles. Je doute qu’on fasse tout ce qui serait possible comme avertissement pour prémunir les ignorans et les faibles contre ces pratiques occultes et malfaisantes.

La diminution des sentimens religieux est loin d’être toujours une preuve de l’absence des superstitions. Assurément il y en a qui sont entées sur les croyances religieuses. Tels sont les pèlerinages faits en l’honneur de saints qui guérissent par spécialité toutes les sortes de maladies. Tels sont encore d’autres usages naïfs et populaires. Ces superstitions ne sont pas les plus dangereuses, malgré leurs abus. On ne saurait d’ailleurs les déraciner entièrement. Le miracle est de l’essence même de la religion. Les superstitions aujourd’hui les plus fâcheuses sont encore celles que nous venons d’indiquer et qui spéculent sur l’ignorance et la crédulité. Il est pitoyable de voir recourir à la fausse médecine, affublée de formules cabalistiques, des gens qui ne croient pas plus au médecin qu’ils ne croient au prêtre, u Nos paysans ne sont pas croyans, nous disait quelqu’un en Picardie, mais ils sont crédules. » Rien n’est plus vrai.

Affirmer que les croyances religieuses ont perdu beaucoup de terrain dans ces campagnes, c’est énoncer un fait général en France, mais qui se produit fort inégalement selon les pays. L’indifférence pour tout ce qui n’a pas les intérêts terrestres pour objet immédiat, la répugnance chez un très grand nombre de paysans à admettre le surnaturel sont dans ces régions du Nord en manifeste progrès. Cette sorte d’incrédulité prend rarement des formes violentes. Elle ne les a que dans ces natures de sectaires qu’on rencontre jusque dans les villages. La majorité des hommes n’est pas positivement hostile aux idées religieuses, tout en se tenant en dehors ; une minorité considérable fréquente encore l’église les dimanches et les jours de fêtes. En Flandre, c’est la majorité aujourd’hui encore qui reste fidèle à ces habitudes, quoique la fréquentation des sacremens, signe du catholicisme pratique, ait là aussi sensiblement diminué. Cette région a moins perdu ses croyances religieuses que la Picardie. Quant aux femmes, elles sont partout, dans ces contrées du Nord et du Nord-Ouest, attachées au catholicisme, et la plupart y tiennent fortement ; elles y maintiennent l’enfant et, jusqu’à un certain point, l’homme lui-même.

Ce qui constitue essentiellement pour ces campagnes la règle de conduite, c’est ce qu’on appelle la morale utilitaire. Je sais que la remarque peut s’étendre en dehors de ces régions du Nord et du Nord-Ouest, mais elle y trouve particulièrement sa place en raison de la nature froide des paysans. Nos campagnes n’ont pas besoin pour être utilitaires d’avoir lu Bentham et Mill. Entre la morale