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leurs familles et leurs sujets pouvaient apporter les offrandes mortuaires aux mânes des défunts. Tout autour, des groupes de palmiers, des colonnes brisées, des tombes ouvertes, couvrent le sol. Reprenant les baudets, nous nous avançons directement vers le pied de la montagne, là où nous descendions si abruptement l’autre jour. Trop fatigués, nous avions dû laisser de côté Deïr el Bahari, les restes du beau temple de la reine guerrière Hatasou. Adossé à la falaise et descendant en terrasses superposées comme un vaste escalier, il devait être grandiose. La femme qui le construisit fut sans doute extraordinaire. Elle commandait ses armées, elle se faisait représenter en homme avec la barbe des souverains. Maîtresse de la Syrie et de l’Ethiopie, en femme de goût, elle voulut conquérir le pays de l’or, des pierreries et des parfums, et se mit elle-même à la tête de sa flotte. Elle fit ensuite représenter sur les terrasses de son temple ses processions d’esclaves, transportant les arbres à aromates dans des paniers pour les planter à Thèbes, et le retour des vaisseaux rapportant des singes, des dents d’éléphant, des prisonniers. Les bas-reliefs qui restent intacts sont superbes et pleins de ces détails amusans. L’endroit où fut faite l’été dernier la découverte des cercueils des rois n’est pas loin d’ici. Nous le savons et nous disons à notre drogman Saïd de nous y conduire. Very far ! répond-il positivement, et il nous donne de longues explications sur la mauvaise route. Il nous mènera plus tard, après le lunch, qui nous attend au Ramasséum, et ou les petites fellahines nous ont apporté de l’eau fraîche. Nous subissons sa loi, mais en nous fâchant. Saïd devient sombre et grommelle : Road not good for ladies. Et comment rendre l’accent guttural et pathétique avec lequel un Arabe prononce good, le mot anglais qu’ils savent tous ? Vaincus, nous descendons dans la plaine, et dans une délicieuse solitude, sous les grandes colonnes à têtes de lotus du temple de Rhamsès, nous mangeons le poulet et les œufs durs habituels de nos déjeuners en plein air. Les baudets dessanglés broutent le trèfle du voisin ; les ailiers sucent leur éternelle canne à sucre et fument leur cigarette. Les fellahines, debout comme des nymphes antiques aux longs voiles, sont prêtes à nous verser l’eau de leur petite gargoulette. Miriam et Fatma, celles qui nous ont suivis aujourd’hui, sont bien jolies et pleines de grâce. Quel beau lieu de repos que celui-ci, avec ces splendeurs au-dessus de nos têtes, ces belles architraves aux décors de bleu et de vermillon et les nobles piliers simples et grandioses, qui les soutiennent ! Ce qui reste des plafonds est encore d’un bleu céleste étoile d’or : sur toutes les parois sont sculptés les hauts faits des Ramsès. Les façades de la cour et de l’entrée du temple sont ornées de majestueuses cariatides, leurs lourdes gaines défiant encore les siècles. La première salle n’est plus qu’un amas de ruines,