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à côté desquelles, plongée dans le sable, brisée en plusieurs blocs gigantesques, gît la plus immense ruine de ce qui fut la plus immense des statues. Colosse des colosses, Rhamsès II, Sésostris, est là, anéanti à nos pieds, aux pieds de ces cariatides élevées par lui, comme l’avait été sa statuer à sa propre gloire. Le granit rose, poli, semble une masse informe. Il faut quelque temps pour se rendre compte qu’elle représente le dos du monarque, son épaule, — que cette énorme pierre qui a roulé plus loin est un bras, que cette autre colonne est une jambe, — et que ce pied qui mesure 4 mètres de long, soutenait véritablement une figure de 60 pieds de haut. Quelle rage dut s’acharner sur une victime aussi pesante que ce géant de granit, avant d’arriver à une destruction si complète ! Et quel fut le plus puissant, de Rhamsès qui éleva un tel monument ou de Cambyse dont la stupide jalousie le fit abattre ? Notre drogman, nos donkey-boys, même les petites porteuses d’eau, ont achevé de vider nos paniers de provisions, et il est temps de terminer notre délicieuse flânerie autour du temple. Nous voulons absolument aller visiter la vallée de la trouvaille, et Saïd finit par nous y mener, tout à fait malgré lui. Nous ne pouvons approfondir le mystère de sa mauvaise volonté, qui a sans doute quelque motif suspect. L’endroit du reste, sans être loin, est d’un abord assez difficile. Nous gravissons un premier échelon, assez péniblement, par un sentier très escarpé ; au bout d’une demi-heure nous arrivons à une haute vallée, fermée au fond par les rochers de l’Assasif. A droite et à gauche des masses de sable sont amoncelées contre les hautes parois. C’est bien le lieu le plus stérile, le plus retiré du monde. Nous grimpons, des pieds et des mains, cette pente abrupte de sable, qui a 50 mètres environ. C’est ici, dans un puits de 11 mètres de profondeur, donnant dans un corridor creusé dans la montagne, que les trente cercueils furent retrouvés l’été dernier.

Rien n’indiquait l’entrée de ce mystérieux souterrain. Il a fallu la rapacité des Arabes, qui jour et nuit fouillent la plaine et la montagne à la recherche d’objets à vendre, pour la découvrir. Leur secret bien gardé a duré douze ans ! On meurt de chaud, dans cette gorge, où le soleil darde toute l’année, sous le ciel sans nuages de Thèbes, et puis, Saïd veut faire sa paix avec nous et nous mener voir un temple où on va rarement, dit-il. Nous le suivons. Partout dans les roches des ouvertures béantes les unes à côté des autres, bien au-dessus de nous. Toutes ont servi de sépultures, ont été violées par les Arabes, et leurs dépouilles remplissent nos musées d’Europe. Rentrant dans la grande plaine, et suivant le pied de la montagne, nous découvrons un joli petit temple de l’époque des Ptolémées, restauré par les Romains, employé par les premiers chrétiens. Ce mélange de goût égyptien et grec, nullement pur, est