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précieux recueils apportaient de nouveau dans l’histoire encore si mai connue de la guerre de la succession d’Autriche et de la guerre de sept ans » je le laisse à conjecturer au lecteur, — sur les noms justement estimés de M. d’Arneth et de M. Droysen, ou, s’il l’aime mieux, sur l’importance du rôle de ces deux illustres souverains, Marie-Thérèse et Frédéric II. Nous autres Français, cependant, avec notre ordinaire intrépidité, nous n’en continuions pas moins de raconter l’histoire de ces deux grandes guerres sur la foi de nos historiographes, — de Voltaire et de Duclos, — sauf, le cas échéant, à consulter le principal acteur lui-même, et quand nous étions embarrassés d’en porter un jugement, demander à Frédéric ce qu’il fallait penser des généraux et des diplomates français.

M. le duc de Broglie est venu renverser la légende et lui substituer la réalité de l’histoire. Confrontant tous ces travaux ensemble ; — soumettant le récit de M. d’Arneth et celui de M. Droysen à une critique sévère, dont l’admirable aisance de son style était seule capable de dissimuler le laborieux appareil ; — empruntant à nos propres archives, et à ses papiers de famille, de quoi faire la lumière, ou plus vive sur les points encore mal éclairés, ou toute nouvelle sur les points demeurés obscurs ; — guidant le lecteur au travers de ce dédale d’intrigues diplomatiques et de complications militaires avec une délicatesse et une sûreté de main qui ne s’acquièrent pas à feuilleter les livres, mais dans la pratique des grandes affaires, à moins aussi qu’on ne la tienne de race ; — donnant enfin au récit, par la disposition magistrale des parties et l’exacte convenance du ton à la nature du sujet, ce relief que l’histoire elle-même ne dédaigne pas de recevoir de l’art, l’auteur de la Première Lutte de Frédéric II et de Marie Thérèse a surpassé le seul rival qui lui fût vraiment à redouter : c’était l’auteur du Secret du roi. Quelques mots peuvent suffire à montrer, dans leur liaison même, l’importance historique de l’un et l’autre ouvrage.

Il existait, dans toutes nos histoires, sur la politique française du XVIIIe siècle, une opinion régnante, accréditée par les philosophes, C’était le moins que leur reconnaissance eût pu faire pour ce vainqueur de Rosbach qui nous avait battus, mais qui les pensionnait, comme d’autre part pour cet habile ministre qui sans doute avait signé les traités de 1763, mais aussi chassé les jésuites. L’amour-propre national, d’ailleurs, entretenait pieusement l’illusion, heureux, comme en tout temps, d’y trouver un moyen de se glorifier lui-même jusque dans les désastres de son gouvernement. On admettait donc en principe, pour ne pas dire comme article de foi, qu’en se laissant envelopper aux habiletés de Kaunitz et contractant l’alliance autrichienne, le gouvernement de Louis XV avait commis une faute irréparable et trahi la politique traditionnelle de la France, la politique de Louis XIV, de