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qu’un Mémoire n’est pas proprement ce qu’on appelle un livre. Il ne s’agit pas ici d’une vaine distinction de genres. Mais on doit convenir, — et maintenant surtout que les archives des affaires étrangères sont presque à la libre disposition de quiconque y voudra puiser, — qu’en vérité le renom d’historien serait à trop bon marché, s’il y suffisait d’avoir inventorié le contenu d’un ou de plusieurs portefeuilles et tant bien que mal encadré dans sa prose la prose d’un résident de France à l’étranger ou d’un premier commis du ministère. Ce n’est pas là tout à fait un reproche qu’ait mérité M. Vandal. C’est toutefois un danger dont il est bon qu’il soit averti. Son livre est en quelque sorte épars. Le lien y manque, et l’unité. C’est que son sujet, comme sujet, n’existe pas. L’Histoire des relations de la France avec la Russie au XVIIIe siècle n’est pas plus un sujet que l’Histoire des relations de l’Angleterre avec la Hollande au XVIIe siècle, ou encore l’Histoire des relations de l’Espagne et de l’Italie au XVIIe siècle. On le voit à la facilité même qu’il y a d’inventer autant que l’on voudra de ces sortes de cadres, et de les remplir. Mais si j’appuie sur ce point, c’est qu’une part, et non pas la moins considérable, de l’art de l’historien, consiste justement, si je puis ainsi dire, dans la délimitation de ses sujets. Ce n’est pas là tout l’art de la composition, c’en est au moins le solide fondement. On peut mettre sa marque ailleurs, mais c’est là d’abord et surtout qu’on la met. Je ne la vois pas très bien dans le plan du livre de M. Vandal. Je ne la vois pas non plus très clairement dans son style. De la netteté, de la facilité, de la rapidité, d’autres qualités encore : pas de personnalité. M. Vandal se contente à trop peu de frais. Je ne voudrais pas de ces phrases dans un livre comme le sien : « L’Autriche cherchait à gagner la Russie en faisant luire à ses yeux la perspective d’une action commune contre les Turcs. » Des « perspectives d’action que l’on fait luire, » comme ailleurs des « ouvertures que l’on accueille, » ou des « conséquences que l’on pèse mûrement, » ce sont là des clichés diplomatiques ; ils valent les clichés, parlementaires. M. Vandal certainement en aurait purgé sa prose, ordinairement aisée, parfois même élégante, s’il avait plus profondément médité son sujet. Ces petites inadvertances décèlent un écrivain qui n’est pas présent de sa personne dans toutes les parties de son œuvre.

Ces observations ne font pas d’ailleurs que le livre de M. Vandal ne soit un livre à lire, et un bon livre. Nous n’avons pas autrement besoin de le recommander à ceux que l’histoire intéresse pour cette seule raison, très suffisante en effet, qu’elle est l’histoire : ils nous auront prévenus. Mais nous n’hésiterons pas à le recommander aux curieux que rebute l’habituelle gravité de la grande histoire, et qui ne la goûtent qu’autant que les circonstances y ont fait pénétrer du romanesque et de l’extraordinaire : leur curiosité ne sera pas déçue. Et nous terminerons en disant que si les éloges de l’Académie sont pour