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le livre que M. Vandal a écrit, nos critiques sont surtout pour celui qu’il ne saurait bientôt manquer d’écrire. C’est de la critique préventive.

Un livre qui mériterait, au contraire, toutes les sévérités de la critique répressive, c’est le Dupleix[1] de M. Henry Bionne, et nous nous empresserions de les lui appliquer, si deux bonnes raisons ne rendaient tant de zèle inutile : l’auteur est mort, et nous avons un autre Dupleix[2]. Il n’est pas douteux que le livre de M. Hamont soit de tous points supérieur au livre de M. Bionne ; il est moins certain qu’il soit le livre que nous aurions voulu voir écrire sur Dupleix. Trop d’enthousiasme et, par conséquent, de la déclamation souvent, mais, en revanche, trop peu de critique. L’admiration du biographe, — une admiration dont l’ardeur l’honore, — malheureusement aussi l’emporte non-seulement au-delà des bornes du goût, mais au-delà même des bornes de l’indulgence permise. Il trouvera que, dans La Bourdonnais, par exemple, « il y a plus du vautour que de l’homme » et c’est avec cette violence qu’il parlera de tous les rivaux de Dupleix ; mais il transcrira telle lettre où Dupleix déclare que, dans une négociation publique, il a fait acte de faussaire, sans en trouver autre chose à dire, sinon que ce fut « une comédie artistement jouée par Dupleix. » J’ajouterai que M. Hamont n’a pas pris assez la peine, qu’il fallait absolument prendre en un pareil sujet, de nous indiquer clairement ce qu’il apportait de nouveau dans la question. Il écrit, nous dit-il, d’après les lettres inédites de Dupleix, et dans un court avant-propos, il nous apprend où sont ces lettres, et nous en donne même l’inventaire. Il ne devait pas négliger de nous dire ce qu’il a tiré de ces lettres qui ne fût connu par ailleurs, et, en le négligeant, nous réduire à la nécessité de lire tout ce qu’il y a d’écrit sur Dupleix avant de pouvoir seulement soupçonner ce que son livre nous en apprend.

On sait que Dupleix a failli nous donner dans l’Inde le populeux empire que les Anglais y possèdent et que, de l’aveu même de leurs historiens, les moyens qu’ils ont employés pour le conquérir et l’affermir sont les moyens, ou le développement des moyens, dont Dupleix leur avait montré l’exemple et prouvé l’efficacité. Ce que cet empire fût devenu dans nos mains, personne évidemment ne peut le dire, et ceux qui veulent, selon le mot consacré, que nous manquions du génie colonisateur, peuvent longtemps en disputer ; mais quand nous voyons ce qu’il est aux mains de l’Angleterre, il est bien naturel que nous nous demandions avec tristesse pourquoi nous ne l’avons pas conservé. La faute en est tout d’abord à la honteuse incurie du gouvernement de Louis XV, mais cette réponse trop générale, qui explique

  1. Dupleix, par M. Henry Bionne, 2 vol. in-8o. Paris, 1881 ; Maurice Dreyfous.
  2. Un Essai d’empire français dans l’Inde au XVIIIe siècle. Dupleix, d’après sa correspondance inédite, par M. Tibulle Hamont, 1 vol. in-8o. Paris, 1881 ; Plon.