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supprimeront, s’il le faut, les haltes, doubleront sans murmurer les étapes ; on ne les verra jamais manquer au rendez-vous. C’est là le trait caractéristique des campagnes auxquelles préside le génie d’Alexandre ; longtemps avant moi les généraux anglais qui opéraient sur le théâtre où Arrien et Quinte Curce nous ont transportés, en faisaient la remarque. Je craignais de m’être laissé entraîner à exagérer la louange ; l’enthousiasme de ces juges, généralement enclins à la froideur, a tranquillisé ma conscience ; il justifiera, je l’espère, aux yeux de quiconque n’aura pas l’esprit prévenu, la vive admiration dont je n’ai pas su me défendre et qui n’est, après tout, que le long écho des siècles.


V

La crainte superstitieuse qu’inspirait Alexandre aux populations de l’Inde, de l’Arachosie et de la Paropamisade, crainte qui contribua tant au succès des armes macédoniennes, n’empêchait pas le bouillonnement sourd de la révolte au sein de ces provinces trop rapidement traversées pour être encore bien sérieusement soumises. La conquête de l’Asie orientale n’était en quelque sorte qu’à l’état d’ébauche ; Alexandre se réservait d’y revenir un jour, mais, comme s’il eût craint que le temps lui manquât, il subjuguait les nations à la hâte, posait d’une main fébrile ses jalons et semblait ne vouloir s’occuper du complet achèvement de sa tâche que lorsqu’il en aurait, dans une exploration sommaire, mesuré la vaste étendue. Deux villes furent fondées sur les bords de l’Hydaspe pour commander les principaux gués de ce fleuve. L’une, consacrée à la victoire, reçut le nom de Nicée ; on croit, à juste titre, en avoir retrouvé les vestiges dans le monticule de Mong, un des points qu’occupaient les Sykhs pendant la bataille de Chillianwallah ; l’autre, destinée à rappeler par son nom la mémoire du vaillant coursier d’Alexandre, mort de ses blessures ou des fatigues de tant de campagnes, peu de jours après le combat livré à Porus, fut bâtie sur la rive opposée, sur la rive occidentale de l’Hydaspe. Bucéphalie, — rapportons-nous-en sans crainte aux savantes investigations du major-général Cunningham, — aurait été située non loin de l’emplacement que couvre aujourd’hui Jalalpour. Toutes ces villes qu’Alexandre semait sur sa route ont été édifiées avec une rapidité qui tiendrait du prodige, s’il fallait se figurer des cités véritables s’élevant en quelques jours à la voix d’un nouveau Deucalion. Le vainqueur de Porus n’a jamais pensé qu’il fût nécessaire d’asseoir les murs cyclopéens de Thèbes ou de Mycènes sur les bords de l’Hydaspe ; il n’y songea pas davantage quand il mit sous bonne garde les rives de l’Étymander et celles du Cophès. L’enceinte des places de sûreté que l’armée improvisait ainsi en marchant se