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proclamé par les alliés roi d’Espagne sous le nom de Charles III, vint en 1703 solliciter de nouveaux subsides, pour continuer la lutte contre Philippe V, petit-fils de Louis XIV, il eut soin de faire sa cour à lady Marlborough. Un soir, après dîner, comme elle offrait, ainsi que le voulait son service, la coupe où la reine trempait ses doigts, le jeune archiduc la lui enleva, la tint à sa place et, en la lui rendant, lui passa au doigt une de ses bagues évaluée 25,000 francs. Deux ans plus tard, il ne crut pouvoir mieux remercier la reine qu’en en chargeant son amie. « Madame, lui écrivit-il, comme la reine continue à m’obliger de la plus généreuse manière, je cherche le moyen de lui exprimer ma gratitude de la façon qui puisse le mieux lui plaire. Permettez-moi donc de me servir de la personne qui lui est le plus agréable pour lui présenter mes sincères remercîmens. » On était en 1705 ; cette personne était toujours puissante, mais elle n’était déjà plus aussi agréable.

Marlborough n’avait cependant cessé de rendre les plus éminens services à son pays et à ses alliés. En 1703, même avant ses grandes victoires, il avait reçu les remercîmens du parlement, le titre de duc et 5,000 livres sterling de pension (125,000 fr.), sur le revenu des postes. La reine ne pouvait accorder cette pension que sa vie durant ; elle aurait voulu l’assurer d’une manière permanente. L’esprit de parti saisit cette occasion de l’atteindre dans ses favoris et les députés tories firent voter contre les désirs de la reine, à la grande indignation de la nouvelle duchesse, qui aurait voulu tout refuser. Elle y gagna du moins la rupture complète de son mari avec le parti qu’elle détestait. La reine, contrariée par les tories dans son ambition d’associer le prince de Danemark à la couronne, et n’ayant obtenu pour lui un revenu convenable, en cas de veuvage, que grâce au parti Marlborough, se rapprocha des whigs ; mais ce ne fut qu’une impression passagère et son étroit entêtement la ramena bientôt à ses anciens erremens. Les passions politiques, loin de désarmer, s’envenimaient chaque jour davantage. On accusait le général en chef de gaspiller, dans un intérêt personnel, les ressources de l’Angleterre, et de prolonger une lutte impossible contre la puissance de la France. Les alliés, de leur côté, lui créaient mille difficultés, les uns par jalousie, les autres par pusillanimité. Blessé, inquiet, souffrant, il ne restait à la tête des armées que par sentiment du devoir et aussi pour céder aux instances de sa femme et de Godolphin. Sa réponse aux attaques et aux objections fut, en 1704, sa marche audacieuse vers le Danube et la victoire de Blenheim, qui entamait enfin d’une manière sérieuse l’omnipotence de Louis XIV.

L’effet en fut immense ; c’était une victoire vraiment nationale ; les