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profusion de lourds ornemens d’or ou d’argent doré finement ciselés, des colliers de piastres et, pour retenir la tunique à l’épaule, de grosses agrafes qui semblent des poignards passés dans des anneaux. Souvent leurs cheveux noirs encadrent très gracieusement un sombre visage, qui est fort agréable dans son étrangeté, et d’une beauté bien supérieure à celui des femmes des villes.

Bergers ou laboureurs, la grande masse des habitans vit des produits du sol. Dans les riches plaines de la côte orientale et dans celle de la Medjerdah, qui s’étend de notre frontière au rivage, les Tunisiens cultivent de superbes plants d’oliviers dont parfois, dit-on, le tracé régulier remonte aux Romains. Dans le Sud, du côté de Bou-Hedma et de la baie de Skira, d’immenses espaces sont couverts d’alfa qu’une compagnie franco-anglaise va exploiter sur une vaste échelle ; et dans la même région, le rivage des chotts produit les plus beaux palmiers-dattiers du monde. Tout le reste de la régence, au moins jusqu’à la hauteur de Sfax, donne des blés superbes et en donnera partout où on promènera la charrue. Mais, à l’heure qu’il est, l’Arabe ne défriche guère ; très sobre, n’ayant que peu de besoins, il arrête le soc léger avec lequel il égratigne la terre la plus fertile de la côte africaine, dès qu’il s’est assuré une récolte suffisante. Jamais il n’arrache une broussaille; il respecte les touffes rondes et mamelonnées des lentisques; il contourne les têtes étoilées des palmiers nains et les groupes embrouillés des jujubiers sauvages. C’est un spectacle fréquent que celui de la terre brune fraîchement remuée, sur laquelle s’épanouissent, fort près les uns des autres, comme dans un jardin, ces bouquets d’arbustes en fleurs. De ces sillons à peine marqués qui suivent une course aussi irrégulière, sortira à l’été une moisson merveilleuse, car la terre est ici de bonne volonté. C’était la plus riche province des Romains; les ruines de villes innombrables qu’on découvre de tous côtés attestent l’énorme population qu’elle nourrissait autrefois. Les arcs de triomphe, les amphithéâtres, les aqueducs, les grands pavés de mosaïque, les fragmens de statues et de colonnes rappellent la splendeur de son ancienne civilisation. Les emplacemens de villes détruites sont même si nombreux que j’ai souvent entendu rapporter par nos officiers, que lorsqu’ils se trouvaient en pays inconnu et ne savaient où aller camper, ils se faisaient indiquer par les Arabes « la prochaine ruine, » et ils étaient presque sûrs d’y trouver une bonne position stratégique et de l’eau, soit à la surface, soit à une faible profondeur.

Jusqu’ici bien des causés ont contribué à laisser enfouies les richesses du sol; d’abord le mauvais gouvernement qui, dans un pays moins fécond, aurait amené la misère absolue; ensuite des taxes énormes (notamment de lourdes taxes à l’exportation) ; puis le manque de bras. Tous les chiffres donnés habituellement de la population