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de la régence sont fort exagérés. D’après les calculs (les seuls approximatifs) qu’on a faits en prenant pour base les listes des imposés avec l’addition d’une proportion raisonnable pour les non inscrits, elle ne compte probablement pas un million d’habitans. Et pourtant, dans les temps anciens, la régence a nourri jusqu’à quinze ou seize millions d’individus. A Sidi-Tabet, à l’Enfida, dans ces immenses domaines aujourd’hui français, on ne songe pas encore, faute de bras, à rien défricher, et cependant la terre est excellente, mais c’est à peine si on trouve assez d’Arabes pour leur louer les parties déjà cultivées. Ajoutez que le Tunisien locataire d’un terrain n’a garde d’améliorer son fonds, crainte d’en voir augmenter la rente, ce que ne manque pas de faire le propriétaire indigène. C’est naturellement par le système inverse, c’est-à-dire par des primes au défrichement, que les propriétaires européens fertiliseront leurs terres, et montreront la supériorité de leur régime sur celui des mosquées et des autres grands détenteurs de biens ruraux.

Bien des progrès pourront être facilement accomplis. En maint endroit, les couches d’eau douce, quelquefois des couches artésiennes, c’est-à-dire jaillissantes, sont à une petite profondeur, et en les utilisant nous augmenterons les facultés productives du sol. Nous les doublerons, mais dans un avenir plus lointain, en prenant dès maintenant des dispositions pour assurer le reboisement des montagnes et la reproduction de ces grandes forêts, qui faisaient de la Tunisie, au temps des Romains, un séjour si agréable. Car il n’y a pas à douter qu’autrefois tout le pays était boisé. Une très ancienne description arabe de la Tunisie vante la merveilleuse fertilité que le sol avait jadis ; mais alors, dit le narrateur, « un homme à cheval allait à l’ombre de Tripoli à Alger. »

Peut-être transformerons-nous le pays en y introduisant la vigne. Elle réussira presque partout; le peu qu’on en a planté déjà à la Marsa et à l’Oued-Zargua donne de belles espérances. Les environs de Bizerte et la côte orientale produisent des raisins magnifiques, mais dont on n’a pas songé jusqu’ici à faire du vin. Tout cela va changer; déjà plusieurs Français achètent de vastes espaces incultes pour y planter de la vigne; les propriétaires de l’Enfida se préparent à y introduire des plants de Marsala, et il est assez probable que, dans quelques années, on commencera à parler sérieusement des crus de Tunisie.

En attendant que ces trésors sortent du sol, que les mines de fer de Tabarque, disputées aujourd’hui par trois compagnies, soient exploitées, que les nombreuses sources minérales du pays soient mises en valeur, que notre chemin de fer qui va de la frontière à Tunis et aujourd’hui jusqu’à Hammam-Life redescende vers le sud, traverse l’Enfida, où il doit avoir trois stations, et aille jusqu’à Sfax