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mille maisons de plus. D’après une statistique récente, sur cent trente-quatre mille sept cent quarante bâtimens de toute nature, il y en avait cent vingt-quatre mille trois cent deux qui étaient des propriétés particulières occupées par autant de familles. Dix mille seulement étaient des hôtels ou des maisons meublées. Avoir sa maison à soi n’est pas seulement à Philadelphie, ville commerçante et manufacturière par excellence, le privilège de la richesse ou de l’aisance, c’est celui, je ne dirai pas de la pauvreté, mais de la condition la plus modeste. Les ouvriers que compte en très grand nombre la ville de Philadelphie sont presque tous logés avec leur famille dans une petite maison qu’ils louent ou qu’ils ont achetée à bas prix, avec toutes facilités de paiement, des sociétés spéciales qui les ont construites pour eux. En un mot, le système que la Société industrielle a inauguré à Mulhouse avec tant de succès fleurit depuis longtemps à Philadelphie : il y a des quartiers entiers qui sont couverts de ces maisons. J’aurais été très heureux de visiter ces quartiers, de me faire une impression, ne fût-ce que par les yeux, et de m’assurer s’il est vrai, comme je suis tout disposé à le penser, car je crois le système excellent, que la population ouvrière, hommes, femmes et enfans. y présente un aspect de prospérité et de décence inconnu dans les autres villes industrielles. Mais j’ai été obligé de m’en rapporter sur ce point au témoignage des Philadelphiens eux-mêmes : « Il n’y a, disait naguère dans une cérémonie publique un orateur officiel, il n’y a aucune ville au monde et il n’y en a jamais eu qui, dans ces proportions et avec cette population, présente pour ses habitans de pareilles facilités d’existence. Les artisans et même les ouvriers vivent chez nous dans des conditions où ils ne vivent nulle part ailleurs. Des hommes auxquels leur salaire quotidien suffit à peine dans d’autres villes pour procurer à eux-mêmes et à leur famille du pain et un logis, et encore dans les plus déplorables conditions au point de vue de l’encombrement et de la malpropreté, ces mêmes hommes sont chez nous les occupans d’une seule et confortable maison et des milliers parmi eux en sont propriétaires. L’effet de ces conditions d’existence sur leur état intellectuel et moral apparaît avec évidence, même à des visiteurs de passage. Nous n’avons pas ici ce qu’on appelle ailleurs l’ouvrier pauvre ; notre ville est remplie, au contraire, d’ouvriers aisés et indépendans, qui élèvent leurs enfans dans des habitudes de travail et d’économie : les garçons résolus à se procurer eux-mêmes un jour une maison parce qu’ils conservent le souvenir de celle où ils ont été élevés dans leur heureuse enfance ; les filles toutes prêtes à tenir ces maisons avec ordre et économie, parce que garçons et filles ont été élevés par des parens qui aiment et honorent leurs familles et trouvent l’unique satisfaction de leur vie dans leurs affections domestiques.