Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
96
REVUE DES DEUX MONDES.

elle ne comprenait pas très bien, mais elle se sentait moins loin de Roger, depuis qu’une autre femme que Madeleine avait passé entre elle et lui.

Cabochard venait de franchir le premier obstacle avec une légèreté qui faisait bien augurer du reste. Des murmures flatteurs s’élevaient de toutes parts ; tout le monde faisait des vœux pour le cavalier : les femmes, à cause de sa beauté que rehaussait sa hardiesse ; les hommes, à cause de sa tenue irréprochable et de sa monte vigoureuse.

— Remarquez-vous comme il attaque juste, à deux pieds de l’obstacle ?

— Crânement en selle, ce gaillard-là !

La double barre, écueil où était venue se briser la fortune d’un grand nombre de concurrens redoutables, fut passée presque à la volée, en deux bonds, sans une foulée dans l’intervalle.

— Hein ! avez-vous vu ça ? clamèrent avec admiration les connaisseurs.

— Et, vous avez vu ? c’est le cavalier qui a sauté ; le cheval n’en voulait pas.

Au second tour, Roger remarqua Geneviève. En arrivant sur la barre, il se rapprochait d’elle et voyait les yeux de la jeune fille fixés sur lui avec un intérêt passionné. C’était, sans doute, l’attrait d’un spectacle nouveau pour elle qui mettait cette jolie flamme dans son regard. Pourtant, si…

— Hop ! hop !

Les deux barres furent franchies comme au premier tour, et l’on applaudit à tout rompre. — Oui, si pourtant Geneviève l’aimait ? Ce serait bien dommage de ne pouvoir pas la payer de retour, car elle était bien jolie. H s’en apercevait pour la première fois : le sens de la beauté se développait en lui avec les appétits.

— Ah çà ! mais, je deviens stupide, se dit-il en obligeant son cheval à changer de pied, pour lui reposer la jambe, car il le menait très sagement, voilà que j’imagine que toutes les femmes ont l’œil sur moi et qu’elles ne peuvent me voir sans pâmer. Allons, allons ! Trémont, mon fils, il faudra soigner ça.

— Hop !

H passa le mur en bois. Il n’avait plus qu’un tour à faire, et pas une faute ne lui avait été marquée.

« Ce serait dommage tout de même, si elle m’aimait, de ne pouvoir l’aimer !.. Mais Jane me plaît tant ! » Et il lança un coup d’œil dans la direction de sa coûteuse conquête. Mais, arrivé en vue de Geneviève, il se reprit à rêver d’amour pur. Les yeux de la jeune fille galopaient toujours avec lui : c’était décidément de l’amour qu’ils dardaient. Un peu distrait, il s’aperçut que son cheval avait