Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mode de rémunération du travail moins favorable que le salaire, parce que l’ouvrier doit ainsi subir les oscillations des bonnes et des mauvaises années et que, par conséquent, il ne peut être payé quand l’établissement est en perte. Cette participation présente cependant certains avantages parce qu’elle attache l’ouvrier à l’établissement et l’encourage à donner la plus grande somme de travail possible, en vue des bénéfices qu’il espère en retirer ; mais dans aucun cas elle n’a pour effet d’augmenter la somme des salaires. Pour un chiffre de production donné, il y a un chiffre déterminé afférent au paiement de la main-d’œuvre. Que cette somme soit distribuée d’une façon ou d’une autre, le résultat final est le même et la population ouvrière prise dans son ensemble n’en est pas mieux partagée. La meilleure manière de faire participer l’ouvrier aux bénéfices des industries où il est employé, c’est de lui apprendre la puissance de l’épargne et de l’engager à devenir actionnaire des établissemens qui sont organisés en sociétés. Il n’y a en effet que le travail et l’économie qui puissent améliorer son sort ; Franklin l’a dit depuis longtemps et depuis lors on n’a encore rien trouvé de mieux. Les institutions créées pour cet objet en Alsace sont une éclatante confirmation de cette vérité.

Ce qu’étaient autrefois les logemens d’ouvriers, le rapport de M. Villermé, présenté en 1833 à l’Institut, peut en donner une idée. Il dépeint ces bouges infects où plusieurs familles couchent dans la même chambre sur de la paille, et sous des lambeaux de couvertures ; il nous montre ces enfans déguenillés, demi-nus, se rendant à l’atelier pour y travailler tout le jour, sans que personne s’occupe de leur éducation morale ; les femmes marchant pieds nus dans la boue et dans la neige, sous la pluie, venant les jours de paie attendre leurs maris pour arracher au gouffre du cabaret une partie de leur salaire. Les choses en étaient là quand la Société industrielle de Mulhouse, persuadée que les patrons avaient en quelque sorte charge d’âmes, mit à l’étude en 1850 un projet d’association pour la construction de maisons destinées à être vendues aux ouvriers dans les meilleures conditions possibles. Cette société fut constituée par M. Jean Dollfus, — dont le nom vénéré est attaché à toutes les mesures humanitaires, à toutes les œuvres charitables de l’Alsace, — au capital de 300,000 francs, auquel le gouvernement d’alors ajouta une somme équivalente. Elle acheta des terrains sur lesquels elle bâtit, d’après des plans arrêtés à l’avance, des maisons de différens types dans lesquelles chaque ménage est isolé et jouit d’un petit jardin, et vendit ces maisons aux ouvriers contre le paiement d’un certain nombre d’annuités dont le chiffre ne s’élève pas au-dessus du prix payé pour la location d’un logement beaucoup moins commode. Cette annuité comprend non-seulement l’intérêt des