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crainte les tempêtes qui leur étaient si funestes auparavant. » Il est certain que les cyclones sont déjà moins redoutés des marins ; quelques-uns se sont enhardis jusqu’à s’en jouer, à les « enfourcher » pour abréger certaines traversées. Cela s’appelle takimg aride upon a cyclone. Le 24 octobre 1842, le navire marchand Lady Clifford, capitaine Miller, est allé ainsi très vite de Nagore à Madras, à la faveur d’un cyclone dont le centre passait sur Pondichéry. Au mois de juillet 1848, le capitaine Erskine a pu abréger de la même façon la traversée du cap de Bonne-Espérance à Sidney ; le chapitre V du livre de M. Bridet a pour titre : Manière d’utiliser les cyclones pour se rendre à sa destination.

Il faut convenir toutefois que les lois qui viennent d’être exposées ne sont pas absolues. En traçant sur une carte les cercles concentriques qui représentent les circonvolutions d’un cyclone et en figurant par des flèches la direction des vents observés en divers points, on constate le plus souvent que ces flèches, loin d’être tangentes aux circonférences, les coupent sous un angle aigu : preuve évidente que l’air qui circule dans le tourbillon afflue du dehors en dedans. D’après Redfield, l’obliquité des flèches est d’environ 5 ou 10 degrés pour les grands cyclones qu’il a étudiés, et il pense qu’elle ne dépasse jamais 2 quarts (22° 1/2). Piddington admet qu’elle peut atteindre 2 et même 3 quarts et produire une assez forte attraction vers le centre. Il cite à l’appui de cette opinion l’histoire du Charles-Heddle, qui, surpris par un cyclone dans la mer des Indes le 22 février 18Â5, et ayant perdu toutes ses voiles, fut forcé de tournoyer autour du centre « ainsi qu’une phalène autour d’une chandelle, » et de faire, du 22 au 27, cinq tours entiers, en décrivant des spires de plus en plus resserrées. Pour les bourrasques ou tempêtes ordinaires qui traversent nos continens, l’obliquité des vents par rapport aux isobares circulaires est parfois encore plus sensible, car M. Loomis déduit d’un grand nombre d’observations une inclinaison moyenne de 45 degrés.

S’appuyant sur ces faits, des météorologistes distingués, comme M. Mohn, M. Wilson, M. Meldrum, rejettent maintenant les diagrammes circulaires des tourbillons et les remplacent par des spirales. M. Meldrum a développé ses idées dans un mémoire où l’on trouve une critique assez vive des manœuvres faites par divers navires aux prises avec le désastreux cyclone de février 1860, et qui ont eu le tort de se fier à la « loi des tempêtes[1]. » M. Bridet a réfuté ces critiques dans la dernière édition de son livre,

  1. M. le capitaine Ansarl, l’un de ceux qui ont eu le bonheur d’échapper au cyclone, se range au même avis dans sa Théorie rationnelle des ouragans. Paris, 1875 ; Berger-Levrault.