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Or l’artillerie, qui garde à grande distance sa force contre des ouvrages de terre, perd sa force, même à faible distance, contre les défenses métalliques, et ce fait est constant. Depuis le canon français de 0m,16, construit pour percer les 0m,12 de la première plaque en fer, jusqu’au dernier canon construit pour percer les plaques en acier de 0m,60 et de °m,75, aucune pièce ne traverse à plus de 2,000 mètres le blindage qu’elle est destinée à détruire. Si un combat s’engage, avec une artillerie égale, entre un cuirassé et le fort le plus impénétrable à l’artillerie de siège, le fort sera vaincu. Il suffira au cuirassé de se tenir à plus de 2,000 mètres au large : à cette distance, le canon du cuirassé bouleversera les abris du fort et le canon du fort n’entamera pas la muraille du cuirassé. Dans les guerres navales des dernières années, partout où les bâtimens blindés se sont trouvés en présence de fortifications, le même fait s’est produit, partout les bâtimens ont cherché la distance où, devenant eux-mêmes invulnérables, ils demeuraient efficaces contre l’ennemi. Variable selon les ouvrages et les navires, cette distance a toujours été trouvée, et la supériorité des défenses métalliques confirmée. À Kinburn, c’est à 1,200 mètres des forts que nos batteries les ruinent ; dans la guerre d’Amérique les monitors se placent d’ordinaire à 900 mètres des ouvrages pour éteindre leurs feux ; à Lissa, quelques heures suffisent aux cuirassés italiens pour réduire au silence deux forts de l’île, et il faut que le Formidable, dépassant la zone protectrice, s’approche à 300 mètres pour être atteint. Dans des conditions analogues, tout ouvrage attaqué est un ouvrage détruit. Or, pour lui donner une protection comparable à celle des navires et obliger ceux-ci à s’approcher à moins de 2,000 mètres, il faudrait aujourd’hui porter les épaisseurs de terre à 12 et 15 mètres. Outre les difficultés de tout genre qu’offre derrière ces masses couvrantes le service de l’artillerie, des fortifications semblables ne sont possibles que sur des points élevés de la côte. Les défenses baignées par la mer ou que peut atteindre la colère des vagues verraient leurs terrassemens délayés par les eaux et emportés par les tempêtes. Pour ces ouvrages et surtout ceux établis sur des îlots ou élevés de main d’homme du fond des eaux, pour les « forts de mer » qu’on a justement comparés à des vaisseaux à l’ancre, une seule protection est efficace, une protection métallique comme celle qui protège les vaisseaux. Elle convient même davantage aux forteresses qu’aux navires. Sur mer, son poids la rend d’autant plus incommode qu’elle est plus protectrice, et limite ses développemens à venir. Sur terre, le poids de la fortification importe peu, l’épaisseur pourra être indéfiniment augmentée. Enfin le blindage acquiert seul sa valeur quand les plaques s’appuient contre une matière qui cède et où elles s’impriment sans contre-coup ; le sable et la terre