Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ouvrages forment le meilleur des matelas. Aussi n’y a-t-il pas de danger que ce système de fortifications soit d’une utilité éphémère. Indispensable tant qu’une cuirasse couvrira les navires, il restera, même s’ils abandonnaient ce moyen de défense. La supériorité de protection donnée au fort ne serait pas excessive pour compenser le désavantage qu’a toujours un ouvrage fixe, dont la position est facile à déterminer et l’étendue considérable, sur un navire que protègent à la fois sa petitesse relative, sa mobilité et l’obscurité des nuits.

S’il fallait remplacer sur toute l’étendue du littoral les batteries d’autrefois par des ouvrages de cette importance, et renouveler l’armement et la défense à chaque progrès de la balistique, l’entreprise dépasserait les ressources des plus riches nations. Mais, en même temps que le progrès de la guerre ruinait la force des anciens ouvrages, il les rendait pour la plupart inutiles. Si l’adversaire dérobe sa marche et parvient sans obstacle au littoral, quels périls y apporte-t-il ? Partout, hors des villes, le bombardement serait sans objet ; le danger à redouter est un débarquement soit pour un ravage passager, soit pour un établissement durable. Quels obstacles opposeraient à ces desseins des ouvrages fixes sur le littoral ? Si rapprochés qu’on les suppose, ils ne commanderont pas toutes les plages accessibles, et il suffira à l’ennemi de choisir parmi celles qui ne seront pas protégées. Tenterait-on de les protéger toutes, plus les défenses seront nombreuses, moins elles seront redoutables. Il est un monument fameux de ce qu’à d’illusoire le système de la fortification continue, c’est la muraille de la Chine. Son rempart et ses tours de garde ceignent l’empire ; mais, trop étendue pour n’être pas partout faible, elle a cédé au premier choc et l’invasion barbare a fait brèche partout. Contre des nations capables de concentrer où elles le veulent des moyens considérables, est-ce se défendre que de diviser à l’excès son armement, ses troupes, et sous prétexte d’être présent partout de n’être vraiment fort nulle part ? Quand l’agresseur se présenterait devant une position puissamment défendue, croit-on qu’il jettera ses soldats sur une plage intenable ? Il concentrera sur elle le feu de ses navires aussi nombreux qu’il le faudra pour s’assurer la supériorité d’artillerie contre un fort isolé. La condition est facile à obtenir ; obtenue, elle assure la chute de l’ouvrage si rien ne trouble le bombardement, et rien ne le peut interrompre qu’une attaque par mer contre les vaisseaux. Ou la flotte de la nation attaquée est capable de tenter ce combat, et c’est elle qui protège le littoral, ou elle n’agit pas, et le fort succombe sans avoir fait autre chose que retarder le débarquement. Certes, retarder est souvent un résultat capital à la guerre, et les fortifications n’ont pas d’autre objet. Mais quel intérêt la défense a-t-elle ici