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distans du littoral. Ainsi se dégage la règle de la défense des côtes : tandis que naguère cette défense, installée sur le rivage, ceignait toute son étendue, aujourd’hui elle doit être portée aussi loin que possible, en avant par les navires, en arrière par les troupes, afin que des forces moins divisées et plus puissantes gardent un plus grand secteur de côtes.


III

Les seuls points du littoral qu’une défende mobile ne suffise pas à protéger sont les villes et les arsenaux. Pour en écarter une occupation, un siège ou uni bombardement, il n’est d’autre moyen que de les couvrir par des ouvrages fixes, et non-seulement ils doivent être armés et construits d’une façon nouvelle, mais ils ne peuvent plus occuper les positions qui naguère suffisaient à tenir l’ennemi hors de portée.

En effet, qu’on transforme par les moyens offensifs et défensifs les plus parfaits un ouvrage situé, comme ils étaient autrefois, de 1,800 à 2,000 mètres en avant de la place à préserver, il tiendra par son feu les cuirassés les plus forts à 2,000 mètres au large et, à cette distance, n’a rien à craindre de leur tir. Mais si le fort et le navire sont également invulnérables, leur rôle est fort inégal. Dès que le navire s’éloigne à plus de 2,000 mètres, le fort est réduit à l’inaction. Au contraire, tant que le navire se trouve à moins de 11,000 mètres de la place ennemie, il peut l’atteindre. C’est dire qu’une place n’est pas en sûreté contre le bombardement si elle n’est pas à 9,000 mètres en arrière des ouvrages qui la couvrent. Encore cette distance, aujourd’hui suffisante, deviendra-t-elle trop faible pour, peu que la portée des pièces augmente, et si l’on veut des défenses d’une efficacité durable, c’est à plus de 9,000 mètres qu’il les faut établir. Cette condition rigoureuse rend dès aujourd’hui impossible la défense de la plupart des villes de commerce. En effet, par une contradiction qui semble un caprice et qui n’est que l’intelligence d’un intérêt qui varie selon le temps, les ports marchands, établis d’abord le plus loin possible dans les terres, s’étendent aujourd’hui le plus près possible du littoral. Autrefois, comme le transport des marchandises par terre était aussi lent et beaucoup plus curieux que leur transport par eau, il y avait un avantage économique de premier ordre à employer par préférence les voies navigables. Les navires, pour pénétrer plus avant dans l’intérieur, remontaient les fleuves aussi haut qu’ils pouvaient sans rompre charge. Où ils étaient forcés de s’arrêter, ils prenaient et vidaient leurs cargaisons et là s’élevaient les ports ; les plus grands, Londres, Anvers, Brème, Hambourg, Rouen, Nantes, Bordeaux étaient « ports