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en rivière, » et de leurs quais, où s’arrêtait la navigation maritime, partait une navigation fluviale qui faisait pénétrer les marchandises dans le reste du pays. Ils se trouvaient ainsi défendus par la distance contre le bombardement du large, et par la difficulté de la navigation à voiles dans les fleuves contre les surprises et les assauts. Qu’on ouvre d’anciennes cartes : dans tous les pays à fleuves navigables, c’est-à-dire dans les pays froids ou tempérés, les ports occupent une situation analogue, et c’est seulement dans les contrées pauvres en cours d’eau (notamment dans les régions méditerranéennes) que les ports s’élèvent sur le littoral.

Mais la vapeur, devenue en même temps le principal moteur sur la terre et sur l’eau, a modifié la proportion entre le coût de l’un et de l’autre mode de transport. Elle en a abaissé le prix sur les voies ferrées. Sur mer, elle a substitué les grands navires aux petits et réduit ainsi les dépenses de construction ; mais, tandis que 7 mètres de fond suffisaient à la marine marchande d’autrefois, il en faut 10 aux paquebots actuels. Peu de fleuves d’Europe, sauf à leur embouchure, ont cette profondeur. Les travaux accomplis pour creuser des chenals non-seulement devaient élever dans des proportions énormes les frais des voies navigables, mais, tantôt ajournés pour ce motif, tantôt entrepris après des observations incomplètes sur les mouvemens des fonds et des courans, ils n’ont pas rendu les vieux ports accessibles aux navires modernes. D’ailleurs l’activité croissante de la navigation maritime étoufferait dans leur lit trop étroit. Quelques-uns, dotés magnifiquement par la nature, comme Londres, Anvers, ou Hambourg, sont demeurés sur leurs rives larges et profondes. Mais cette fortune est rare. En France, Saint-Nazaire, Le Havre ont détrôné les anciennes cités de Nantes et de Rouen, et Bordeaux a vu se multiplier les escales entre ses quais et l’embouchure de la Gironde. Les ports ont descendu les fleuves que les navires ne remontaient plus, ils se sont établis à l’embouchure et même développés sur les côtes, où ils trouvaient l’espace et la profondeur.

Or l’intérêt du commerce rapprochait les ports du littoral à mesure que leur sûreté eût commandé de les reculer dans les terres. Aujourd’hui que l’artillerie porte à 12,000 mètres, ils ont atteint le rivage. Ils peuvent être détruits de la haute mer. Heureusement, si les besoins de la paix ont rendu la défense des ports impossible, les usages de la guerre tendent à la rendre superflue. Les usages de commerce s’ouvrent aux navires de toute nationalité, et le pavillon étranger y domine d’ordinaire. Au moment d’une guerre, le manque de fret retient dans les ports où ils mouillent nombre de vaisseaux, même étrangers : brûler certaines cités maritimes serait faire moins de mal à l’ennemi qu’aux neutres, s’exposer aux légitimes griefs de ceux-ci, et se donner l’odieux d’une cruauté dont il