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faudrait payer les frais. Dans la seconde moitié du siècle, toutes les grandes nations de l’Europe ont été en lutte. Aucun port ouvert n’a été bombardé. Un jour, cette pratique humaine passera des faits dans les règles écrites du droit international. Qu’on se garde, en attendant, de compromettre les places de commerce par un décor de défense qui, sans leur donner plus de sécurité, fournirait à l’ennemi un prétexte pour les traiter comme places de guerre. Les fortifications d’Alexandrie viennent de causer sa ruine. Si l’on veut accroître dans les jours de lutte la sécurité des ports marchands, qu’on y augmente l’importance des affaires, qu’on y attire un vaste mouvement de navires. La perfection de l’outillage maritime sera le principal élément de cette prospérité. La suppression des formalités inutiles et des inégalités qui défendaient naguère la marine marchande d’un pays contre le commerce de marines étrangères sont aussi commandées par l’intérêt militaire non moins que par l’intérêt économique. Les défenses véritables d’une cité maritime, ce ne sont pas les remparts où flottent les couleurs nationales, ce sont les pavillons des neutres dans un port.

Toutes les ressources d’une protection permanente doivent être réservées pour les ports militaires. Même au temps de la marine à voiles, leur attaque était un des principaux objectifs de la guerre navale. Brûler les arsenaux de l’ennemi, n’est-ce pas priver ses navires de refuge, et ruiner jusque dans l’avenir sa puissance ? Surprendre ses flottes dans leurs rades, n’est-ce pas s’assurer la victoire presque sans les hasards du combat, gagner d’un même coup la sûreté de ses côtes, la domination du littoral ennemi, et l’empire de la mer ? La destruction veille infatigable autour des ports militaires et, loin que leur importance les sauvegarde, la grandeur de la prise qu’ils offrent attire sur eux le danger. Or combien ces attaques sont redoutables avec la guerre actuelle, qui à peine déclarée commence et, commencée, ne s’arrête plus, que les élémens eux-mêmes ne savent ni détourner ni suspendre, et qui, toujours soudaine et partout menaçante, est devenue l’esclave de l’homme et frappe où il veut ! Si l’ennemi peut, en se tenant au large, envoyer de plus loin ses feux sur le littoral, il lui est aussi plus facile de forcer les rades. Le cuirassé s’élance de la haute mer avec une vitesse de 400 à 500 mètres par minute. L’instant d’avant, il était hors de portée, un instant encore, il sera hors d’atteinte. C’est dans ce court délai qu’il faut le toucher ; encore l’atteindre n’est-il pas l’arrêter si l’on ne blesse quelqu’un de ses organes essentiels, et cette précision est d’autant plus difficile qu’il marche entouré de fumée. Or, à mesure que le navire a des moyens plus puissans de défense, l’artillerie a des moyens plus lents d’attaque. Les grosses pièces ne tirent guère plus d’un coup par cinq minutes. Il y a peu de chances