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dissimulée une puissante embuscade : toute une escadre attend, cachée entre les roches, que le convoi romain arrive à sa hauteur. À peine la quatrième division a-t-elle été assaillie par les vaisseaux d’Hannon que le corps détaché qui guette l’instant propice fond de toute sa vitesse sur la troisième division et sur les transports. La troisième division n’hésite pas ; elle coupe les remorques et laisse le convoi qui paralysait ses mouvemens abandonné au milieu de l’arène. Au point où en sont venues les choses, les combinaisons tactiques seraient de peu de secours. Les vaisseaux d’Amilcar ont à lutter contre les deux consuls ; ils supportent le gros de l’action ; Hannon tient en échec la quatrième escadre ; la troisième se trouve serrée contre le rivage par la réserve carthaginoise, qui a réussi à la tourner. Le premier groupe qui fléchira décidera par sa faiblesse du sort des deux autres.

Tant qu’ils ont manœuvré, les Carthaginois ont eu l’avantage ; leur astre pâlit du moment qu’ils attaquent à fond. En venir à l’abordage, c’est replacer les soldats sur leur terrain : la corvette la Bayonnaise n’eût probablement pas pris la frégate anglaise l’Embuscade si elle n’avait eu à son bord une compagnie de l’ancien régiment de Flandre, et, à Trafalgar même, nos vaisseaux entourés faillirent sur plus d’un point, grâce aux troupes passagères qu’ils portaient, faire repentir l’ennemi d’avoir osé les serrer de trop près. Amilcar avait tout lieu d’espérer la victoire ; quelques-uns de ses vaisseaux, trop empressés à se dégager d’une étreinte fatale, ont donné par malheur le signal de la fuite. Que peut un général dans un pareil désordre ? Se couvrir de signaux ? on n’en tiendra pas compte. Redoubler d’énergie ? payer de sa personne ? C’est au début de l’action que cet exemple entraîne ; au fort de la mêlée, on ne s’en aperçoit même pas. Amilcar vaincu, Hannon n’a plus qu’à se retirer en toute hâte.

Pendant que Manlius attache à la poupe de ses vaisseaux l’es galères ennemies dont le pont a été forcé l’épée à la main, Régulus s’occupe de venir en aide à la quatrième escadre d’abord, à la troisième ensuite. La défaite des Carthaginois devient irrémédiable : trente de leurs navires ont été coulés bas, soixante-quatre sont amarinés. Les Romains n’ont à regretter que la perte de vingt-quatre galères.

Telle fut l’issue du grand combat livré en vue d’Ecnome, entre Agrigente et Géla, au printemps de l’année 257 avant Jésus-Christ. Six cent cinquante navires de guerre et près de 300,000 combattans y prirent part. Nulle barrière n’existait plus entre les Romains et le cap Bon ; les soldats de Manlius et de Régulus débarquèrent, et tout le pays environnant en un clin d’œil fut à eux. Il y avait plus d’un demi-siècle que la Libye se reposait de l’invasion d’Agathocle :