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les somptueuses villas, les fermes opulentes avaient reparu ; le butin fut immense et le dégât affreux. Le consul Manlius rentra dans Rome avec 20,000 esclaves. Pendant ce temps, Régulus, en possession déjà d’une place d’armes, — Clypea, ville située à l’orient du cap Bon, — s’emparait de Tunis. C’était invariablement alors par la prise de Tunis qu’on préparait l’investissement de Carthage ; mais Régulus, à qui Rome venait de retirer la majeure partie de ses troupes, n’était plus de force à tenter une attaque sérieuse contre la grande cité. Réussirait-il même bien longtemps à se maintenir dans la campagne ? Les Carthaginois envahis avaient eu recours à leur expédient habituel : ils levaient de tous côtés des mercenaires. La Grèce leur envoya un général ; formé à l’école de la discipline lacédémonienne, ce général valait à lui seul une armée. À peine Xanthippe eut-il mis le pied sur la côte libyenne que la guerre prit soudain un nouvel aspect. Les Romains, harcelés dans leurs positions, obligés de descendre dans la plaine pour se procurer des vivres, se virent contraints d’accepter la bataille en pays plat : Xanthippe les étourdit par les assauts réitérés de sa cavalerie et finit par les écraser sous le poids de ses éléphans. Bien peu de soldats échappèrent au désastre ; Régulus lui-même fut fait prisonnier.

Il n’était point dans les habitudes de Rome de rester accablée sous une défaite ; aussitôt qu’un nouveau printemps eut rouvert le chemin de l’Afrique, une autre flotte partit des ports de la Sicile et se présenta devant Clypea, dont les Carthaginois tenaient la garnison assiégée. Trois cent cinquante vaisseaux cette fois ; en combattirent deux cents ; cent quatorze galères carthaginoises furent le prix de la victoire que remportèrent les consuls Marcus Emilius et Servius Fulvius à la hauteur du cap Bon.

La garnison de Clypea était sauvée, mais l’Afrique n’était pas pour cela conquise. Les Romains reculèrent devant les hasards d’une expédition prolongée : ils avaient mesuré les forces de leur ennemi et savaient maintenant que, tant qu’ils n’auraient pas tari les sources où s’alimentait la richesse de Carthage, le monde entier fournirait à leur implacable rivale des soldats. Sans s’arrêter sur ces côtes déjà saccagées et qui ne pouvaient plus leur offrir qu’un maigre butin, ils reprirent le chemin de la Sicile. On venait d’entrer dans la seconde quinzaine du mois de mai ; la constellation d’Orion commençait à se montrer à l’orient vers le lever du jour ; le Chien disparaissait le soir à l’occident, peu de temps après le coucher du soleil. Sans être aussi périlleuse que la saison d’automne, cette période amène cependant fréquemment d’impétueuses bourrasques. C’est au mois de mai que Nelson vit sa flotte dispersée dans le golfe de Lyon, le vaisseau qu’il montait démâté et poussé par le vent sur la côte de