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mettre en mouvement : Cléopâtre s’en apercevra quand elle essaiera d’en faire traîner les débris jusque dans la Mer-Rouge, à travers l’isthme de Suez. Pour combler les vides de ses équipages, on a été obligé de recourir à la presse : voyageurs, muletiers, moissonneurs, tout ce que les sergens recruteurs sont parvenus à saisir est, en dépit des supplications et des murmures, dirigé en hâte sur les vaisseaux à court depuis trop longtemps de rameurs. La Grèce est épuisée : il faut cependant qu’elle subisse encore cette saignée nouvelle. Des hommes ! des hommes ! des hommes ! Sans cesse il en arrive et il en manque toujours. Songez-y donc ! La flotte d’Antoine, ne fût-elle qu’une flotte de trirèmes, demanderait, pour être armée au complet, plus de 100,000 hommes ; il lui en faut le double, si elle est composée en majeure partie de quinquérèmes. Toute l’armée de terre y passerait ; les seize légions de Canidius, les troupes de la Libye, de la Haute-Cilicie, de la Paphlagonie, de la Comagène, de la Thrace et de la Cappadoce qu’ont amenées leurs rois en personne ; celles du Pont, de la Galatie, de la Lycaonie et de la Judée envoyées par Polémon, par Malchus, par Amyntas, par Hérode. Une flotte aussi exigeante ne laisse pas que d’être un gros embarras. On reproche à Antoine de n’avoir pas su profiter des mécontentemens passagers de l’Italie, de s’être endormi dans les fêtes, d’avoir sacrifié le soin de son salut à ses plaisirs. Le malheureux ! qu’on apprécie mal les difficultés de sa situation ! Les renforts sur lesquels il se croyait en droit de compter se dissipent en route ou se fondent en chemin ; au lieu de ces renforts, c’est Octave avec ses liburnes qui arrive. Les liburnes, ce sont les trières de l’Illyrie ; une marine de pirates que feront revivre au moyen âge les Uscoques. Aux corsaires de Sextus Pompée Octave n’a pu opposer avec succès que ces navires agiles qui franchissent avec plus de facilité que les trières d’Athènes l’isthme de Corinthe sur des rouleaux, l’isthme d’Ambracie sur des peaux de bœufs enduites de matières grasses : il en a formé le gros de sa flotte. Deux années de campagne les ont aguerris ; un véritable homme de mer, Agrippa, les commande. Antoine avait mouillé sa flotte à l’entrée du golfe, sous le promontoire d’Actium. L’apparition soudaine de l’ennemi le prend en défaut ; la plupart de ses galères sont encore dégarnies de soldats.il paie résolument d’audace, fait prendre sur-le-champ les armes aux épibates et défourneler les rames. Pendant que sur les ponts étincelle le fer fourbi des piques, les avirons poussés en dehors donnent aux vaisseaux l’apparence d’une flotte qui n’attend que le signal de son chef pour appareiller. Le stratagème est habile et fait, suivant moi, grand honneur au sang-froid du général surpris. Octave, qui se préparait à l’attaque, reste intimidé ; il recule devant un pareil déploiement de forces et se contente d’aller asseoir son camp en face du camp