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du roi légitime, notamment au comte d’Aumale, nommé capitaine de l’abbaye en 1420. On comprend donc le retentissement profond qu’eurent ces succès dans toutes les parties du royaume où les conquérans n’avaient pas encore étendu leur domination. Il suffit, pour se convaincre de l’importance que l’opinion du temps attacha aux faits militaires résumés dans les lignes qui précèdent, d’ouvrir les chroniques du XVe siècle dont les plus importantes ont mentionné, quelques-unes avec un certain détail, le siège mis devant le Mont dès la fin de 1424, les échecs successifs des assiégeans par terre comme par mer, la levée du siège, résultat de la déroute finale des Anglais et couronnement d’une résistance vraiment héroïque. Nous renvoyons donc à l’auteur de la Chronique de la Pucelle, à Jean Chartier, à Monstrelet, au rédacteur de l’Abrégé bourguignon, quiconque nous reprocherait de prêter à la défaite des agresseurs devant le sanctuaire de l’archange un intérêt que cette affaire n’aurait pas eu réellement pour les contemporains.

À vrai dire, le siège mis devant le Mont pendant la seconde moitié de 1424 et la première moitié de 1425 forme comme le point culminant de cette admirable résistance du Mont-Saint-Michel, qui est, après la mission de Jeanne d’Arc, l’un des épisodes les plus glorieux de notre histoire militaire au XVe siècle. Que l’on interroge les annales de tous les peuples, et l’on trouvera peut-être difficilement un second exemple d’une garnison assiégée ou bloquée sans interruption pendant vingt-six ans et triomphant à force de patriotisme de toutes les attaques. Il faut rendre à nos rois cette justice qu’ils apprécièrent dignement ce qu’il y avait eu de sublime dans l’héroïsme de Nicole Paynel, de Louis d’Estouteville et de leurs compagnons d’armes. C’est à Louis XI que revient l’honneur d’avoir voulu éterniser en quelque sorte la reconnaissance nationale. Lorsque ce prince, qui avait des parties de grand roi, fonda, le 1er août 1469, un ordre de chevalerie destiné à récompenser les actes de vaillance, il l’appela l’ordre de Saint-Michel et en plaça le siège au Mont-Saint-Michel. Dans l’acte de fondation, le fils de Charles VII tint à rappeler dès les premières lignes la résistance victorieuse opposée aux Anglais par les défenseurs de la célèbre abbaye, grâce à la protection de l’archange, « qui, pour reproduire les termes mêmes des lettres patentes, son lieu et oratoire appelé le Mont-Saint-Michel a tousjours seurement gardé, préservé et deffendu sans estre subjugué ni mis ès mains des anciens ennemis de nostre royaume. » Quant au siège de 1425, que l’on peut considérer comme l’époque héroïque de la défense, le souvenir s’en est perpétué jusqu’à nos jours dans la tradition populaire, et maintenant encore le plus beau titre d’un gentilhomme normand ou breton est de compter l’un de