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ses ancêtres parmi les braves qui contribuèrent à repousser les assauts des envahisseurs.

L’effet moral produit par l’échec des Anglais devant le Mont-Saint-Michel fut plus important encore que le résultat matériel. C’est à partir de ce moment que la croyance populaire, surtout dans les provinces occidentales du royaume, enrôla définitivement l’archange en tête des auxiliaires célestes du roi légitime. Quatre ans plus tard, vers le milieu de 1429, cette croyance se manifesta de la manière la plus étrange en Poitou et même en Bretagne, où l’on voyait d’un fort mauvais œil l’alliance récemment contractée par le duc Jean VI avec les Anglais. Aussitôt après la levée du siège d’Orleans, le bruit se répandit parmi les habitans de ces provinces qu’un cavalier armé de toutes pièces était apparu dans les airs ; il chevauchait sur un grand destrier blanc et brandissait une épée nue. On ajoutait que ce cavalier aérien tournait le dos au midi et s’avançait du côté de la Bretagne. Aux environs de Talmont et dans plusieurs villages du bas Poitou, on l’avait vu passer au-dessus des habitations. Pendant la première quinzaine de juin 1429, l’évêque de Luçon et deux gentilshommes poitevins se rendirent à la cour de Charles VII, où ils certifièrent la réalité de cette apparition.

Le narrateur inconnu qui nous a conservé le souvenir de cet événement ne prononce le nom d’aucun personnage surnaturel ; mais il est aisé de reconnaître le chef de la milice ou chevalerie céleste dans la description du phénomène qui hantait ainsi les imaginations poitevines. Outre que la couleur blanche de la robe du cheval semble être un symbole de la pureté évangélique, la circonstance du feu nous paraît surtout caractéristique. La symbolique chrétienne prête d’ordinaire une épée de feu au vainqueur de Lucifer, et les apparitions de l’archange au Mont passaient au moyen âge pour être toujours accompagnées de flamme. D’un autre côté, on s’explique facilement le rôle complaisant que joua dans cette affaire l’évêque de Luçon, quand on connaît le prélat qui occupait alors ce siège épiscopal. Ce prélat s’appelait Guillaume Goyot, et la vieille famille chevaleresque à laquelle il appartenait, fixée depuis des siècles à Matignon, près de Saint-Malo, dans le voisinage de l’abbaye fondée par saint Aubert, était dévouée entre toutes à l’archange Michel et à son sanctuaire.

La nouvelle de la levée de ce siège fameux dut se répandre d’autant plus facilement et d’autant plus vite parmi les partisans de Charles VII que les pèlerins qui, mus par un sentiment de dévotion, visitèrent à cette date le sanctuaire de l’archange, s’empressèrent sans doute de s’en faire les propagateurs. Une ordonnance de Henri V, rendue dès 1421, avait interdit, il est vrai, le pèlerinage