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Tu rayonnes pour moi d’une angélique flamme,
À travers ton beau corps mon âme voit ton âme,
Même les yeux fermés, c’est égal, je te vois.
Le jour me vient de toi. Je me voudrais parfois
Aveugle et l’œil voilé d’obscurité profonde
Afin de n’avoir pas d’autre soleil au monde !


On prend plaisir à suivre le développement musical de ces phrases, et cependant on s’aperçoit avec chagrin que toute la pièce, même quand plusieurs personnages sont en scène, n’est qu’un long monologue. Le drame, comme son héros, est contrefait : un seul rôle, celui du personnage central, s’est développé outre mesure-, sa végétation, pour ainsi dire, a envahi toute l’œuvre ; les autres ont avorté. Si l’on prétend que le Roi s’amuse, dans la galerie de Victor Hugo, compte parmi les toiles de maître, nous consentons que c’en soit une ; mais c’est une esquisse monstrueuse, une composition fantastique, où, par la volonté de l’auteur, un seul personnage est poussé, de proportions si démesurées qu’il fait presque éclater le cadre ; les autres, à quelque plan qu’ils soient, ne sont qu’indiqués d’un coup de pinceau.

Est-ce les amours de François et de Blanche qui balancent, dans l’exécution de l’ouvrage, l’importance de Triboulet ? Nous savons que non, et, toutefois, l’espoir d’un intérêt dramatique nous chatouille, quand nous voyons la silhouette de François se glisser derrière le siège de Blanche. L’amour suppose un dialogue, — à moins que l’un des amans ne soit muet, — et le dialogue est la forme habituelle du drame. En effet, nous obtenons un duo. Mais combien d’abord l’effet de ce duo est amorti par la lenteur et la banalité de ses préliminaires, — j’entends les jeux de scène de dame Bérarde et du roi ; — combien ensuite notre sympathie est gênée par la présence perpétuelle de cette duègne que nous voyons, au fond du théâtre, quand les amans ne la voient plus ! Nous ne maugréons pas trop quand l’arrivée des gentilshommes abrège cette scène d’amour ; heureux si quelque incident pouvait abréger de même la scène de l’enlèvement ! Ces allées et venues, ce dialogue haché, à voix basse, cette duperie invraisemblable de Triboulet, cette escalade, ce rapt, toute cette fin d’acte qui paraît, à la lecture, vivement menée, semble interminable dans cette nuit de théâtre, et le drame, au lieu de se précipiter et de s’échauffer ici comme nous l’espérions, s’affaisse au contraire dans les ténèbres que fait cette rampe presque éteinte.

Le commencement du troisième acte, la scène de Blanche et du roi, ou plutôt le morceau de bravoure que le roi lance comme un chant de coq, lorsque Blanche est devant lui au Louvre, cette cavatine galante nous laisse encore impassibles. La poulette fuit et le coq la suit, ou, comme dit noblement Marot, « le lion traîne la brebis dans son autre. » Les