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DANS LE MONDE.

pencha une dernière fois, dit à l’oreille de la jeune femme quelque chose de mystérieux, puis attendit avec une mine d’oraison. Mais Jane dégagea sa main, que retenait celle de son interlocuteur, murmura : « Quelle folie ! Et mes domestiques ? » puis sauta à terre et tira de sa poche un bijou de clé d’or qu’elle se mit en devoir d’introduire dans la serrure à secret de l’une des deux portes de la grille.

— Allons ! bonsoir !.. Venez après-demain, vous me ferez plaisir.

Roger, assez penaud et fort contrarié, comme quiconque s’est mis en appétit trop longtemps avant le festin, remonta tristement dans son fiacre à quatre places et se fit conduire à la gare Saint-Lazare.

Le lendemain était un de ces jours qu’un mois auparavant il bénissait encore, un de ces jours qu’il eût marqués d’un caillou candide, et qui, maintenant, n’avaient plus droit qu’à une pierre teintée. Madeleine vint à deux heures. — Certes, son amour, à elle, n’avait pas fléchi. À la franchise de son sourire et à l’éclat de ses yeux, mieux encore qu’à l’entrain de ses caresses, il était aisé de reconnaître la femme éprise dans l’âme. Sa tendresse était seulement un peu trop câline et trop douce, revêtant cette nuance de sollicitude maternelle dont il est si difficile à une femme plus âgée que son amant de se préserver tout à fait, quand elle aime sérieusement. C’était peut-être là ce qui avait aidé Roger à se refroidir, — outre les entrevues trop fréquentes. — Quoi qu’il en fût, du reste, Roger ne laissait pas voir grand’chose de cet abaissement de sa température intérieure ; tout au plus Madeleine avait-elle pu remarquer, deux ou trois fois, que son amant semblait distrait. Mais, comme à cette phrase connue : « À quoi pensez-vous ? » il avait répondu par cette autre phrase non moins connue et toujours rassurante : « Je pense que je vous aime et que je ne vous vois pas assez, » elle s’était tenue pour satisfaite.

Ce jour-là, grâce à une des facéties les plus fréquentes du hasard, lequel s’amuse constamment à attiser un foyer quand l’autre va s’éteindre, Madeleine était plus affectueuse encore et plus caressante que de coutume. Un grain de mélancolie était tombé, le malin même, dans son amour ; elle avait eu un petit froid au cœur en s’éveillant, et la pensée lui était venue qu’elle était isolée dans la vie comme dans son grand lit : — un amant, c’est plus poétique, mais aussi plus fugace qu’un mari. Et elle éprouvait le besoin de demander des gages d’éternité à une chaîne, qui, plus que jamais, lui paraissait fleurie, mais où elle commençait à chercher, avec un peu d’angoisse, le 1er des anneaux sous les gentillesses de la guirlande.