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élevé, la plupart se trouvaient exposés à demeurer toute leur vie hiérarchiquement fort au-dessous de leur aîné ; et cependant ils n’étaient pas moins fiers que lui de leur noblesse. En France surtout, où les familles nobles tenaient à ne point altérer la pureté de leur sang et où tout gentilhomme faisait parade de son extraction, les cadets ne se seraient pas résignés, comme ils le font en Angleterre, à porter une qualification qui les confond avec la roture. N’avaient-ils point de part dans la distribution des fiefs de dignité compris dans l’héritage, ils cherchaient, et cela arriva de bonne heure, à se procurer un titre qui les rapprochât de leur aîné. Tout en gardant le nom paternel que portait l’héritier par droit de primogéniture, ils l’accompagnaient d’une qualification nobiliaire d’un ordre moins élevé toutefois que celle qu’avait eue leur père. Les cadets qui agissaient ainsi devaient se munir de l’autorisation royale, mais bien souvent ils s’en dispensèrent et se contentèrent de l’agrément de la famille. Cette usurpation par les puînés d’un titre supérieur à celui de chevalier et qui n’était pas celui d’un des fiefs de dignité du domaine paternel, se fit sans tenir toujours compte de l’ordre hiérarchique signalé ci-dessus, et l’on vit des cadets prendre un titre hiérarchiquement plus élevé que celui qu’avait le frère qui les précédait immédiatement. Tantôt le nom joint à ce titre était celui du fief de dignité de l’aîné et le même nom s’accolait de la sorte à deux qualifications différentes, ce qui était absolument contradictoire avec la nature du fief, une terre ne pouvant être à la fois, par exemple, duché et comté, marquisat et vicomte ; tantôt c’était à l’ancien nom de famille, abandonné pour celui d’un fief de dignité, que le puîné demandait l’appellation qu’il ajoutait à la qualification par lui prise. Dans le commerce journalier, la courtoisie faisait souvent donner à l’aîné du vivant de son père le titre que portait celui-ci, et de même qu’il pouvait y avoir deux femmes désignées par le même titre, la douairière et la bru, on vit ainsi quelquefois deux ducs, deux comtes du même nom. La chose pouvait se produire tout à fait légalement dans les familles de pairs, si le roi autorisait le père à se démettre de son vivant de son duché ou de son comté-pairie en faveur de son fils aîné. Alors celui-ci devenait duc et pair ou comte et pair, et le père gardait le simple titre de duc ou de comte. Le plus ordinairement le fils aîné d’un duc ou de quelque autre grand seigneur titré portait du vivant de son père le nom d’une des seigneuries comprises dans l’héritage paternel, ou même celui d’une seigneurie que lui avait léguée un ascendant ou un collatéral, et c’était seulement à la mort du père que ce fils reprenait le titre et le nom de sa famille. Tels ont été les divers usages qui introduisirent surtout des dérogations aux anciennes règles. On s’habitua peu à peu à voir presque tous les enfans mâles d’une famille noble porter du vivant