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C’est ce fonds qui constitua ce qu’on appelle le cabinet des titres et qui se conserve aujourd’hui au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale.

On avait donc enfin un tableau général de la noblesse authentique du royaume, mais il ne s’écoula pas longtemps avant que la confusion rentrât là où l’on avait voulu la rendre impossible. Les usurpations recommencèrent. Une foule de gentilshommes ruinés par la débâcle de Law ou par leurs folles dépenses avaient vendu leurs terres. Les bourgeois, qui s’enrichissaient de plus en plus par la finance et le commerce, en achetaient de tous côtés. Le gouvernement était de plus en plus facile pour accorder des anoblissemens qui faisaient arriver de l’argent dans sa caisse. Mais ces anoblissemens étaient loin d’être toujours réguliers, et les roturiers, devenus seigneurs de terres nobles, affichaient de plus en plus la prétention d’être gentilshommes. Comme s’ils eussent été tels, ils s’intitulaient dans les actes, hauts et puissans seigneurs, quelquefois même très hauts et très puissans. On voyait alors, rapporte un témoignage contemporain (Encyclopédie méthodique, article Noblesse), des roturiers bien connus ou de simples écuyers s’arroger les titres de marquis, comte, vicomte et baron. Ils n’osaient pas d’abord les prendre dans les actes publics, mais en se les faisant donner dans le commerce journalier, ils commençaient cette possession d’état qui devait, au bout d’un siècle, en assurer la propriété légitime à leur postérité. Le gouvernement ne sévissait guère contre les délinquans. Les parlemens, les cours des aides ordonnaient de temps à autre des poursuites, et voilà tout. Louis XV se borna, en avril 1771, à taxer à une somme de 6,000 livres, sous prétexte de confirmation de leur noblesse, tous ceux qui avaient été anoblis depuis 1715, sauf certaines exemptions. Et ceux dont les titres étaient les plus douteux furent les plus empressés à payer, l’édit royal déclarant la noblesse définitivement acquise après qu’on aurait acquitté ce droit. Le chiffre des nobles s’accrut donc considérablement dans le cours du XVIIIe siècle et il s’y glissa bien des gentilshommes de mauvais aloi. On s’était si fort habitué à ne plus distinguer les possesseurs de fiefs nobles des véritables gentilshommes qu’en 1789, lors des élections aux états-généraux, on admit dans plusieurs bailliages à voter avec la noblesse tous ceux qui tenaient des fiefs nobles, qu’ils fussent gentilshommes ou non, le relevé des électeurs s’étant fait non par familles nobles, mais par fiefs. La Chesnaye des Bois écrivait, vers 1770, qu’il y avait en France environ soixante-dix mille fiefs, dont trois mille à peu près étaient titrés (principautés, duchés, marquisats, comtés, vicomtes, baronnies, etc.).. Il estimait à quatre mille le chiffre des familles d’ancienne noblesse et à quatre-vingt-dix mille l’ensemble des familles nobles : ce qui, d’après sa supputation,