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DANS LE MONDE.

VII.

Un petit hôtel charmant, juste au milieu de l’avenue du Bois-de-Boulogne : une grille à deux portes ; derrière la grille, un parterre ; dominant le parterre, une terrasse à balustres de pierre, qui surplombe ; à droite, le perron d’entrée, que surmonte un balcon carré soutenu par deux colonnes ; à gauche, une serre qui déborde en rotonde. Habitation d’un aspect très simple, très élégant, très familial. Stores de coutil écru, rideaux blancs ; rien qui tire l’œil. De l’avenue, on aperçoit, au fond, assez loin de la maison et séparés d’elle par un jardin beaucoup plus vaste que celui que longe la grille, les communs en briques de deux couleurs, bleu sur rouge.

Pour pénétrer dans l’hôtel, il faut sonner à une porte pleine, toujours fermée comme si elle donnait sur la rue. Un domestique, en habit, et non en livrée, vient vous ouvrir et vous introduit dans l’unique salon, situé au rez-de-chaussée et communiquant avec la serre. Là, on a de quoi occuper ses yeux, en attendant la maîtresse du logis. C’est d’abord un magnifique portrait de la dame de céans, dû à un pinceau fameux. Elle est représentée assise, le coude sur une table, en toilette noire décolletée, une main dégantée, l’autre tenant un bouquet de violettes de Parme. Les tons éclatans de la poitrine, des épaules et des bras éclairent le tableau presque violemment ; il semble qu’il ne doive plus rester de lumière pour le visage, qu’on regarde en dernier lieu, et l’on est tout surpris, quand on y arrive, de le trouver parfaitement clair, pour ainsi dire limpide, avec les yeux d’un bleu métallique grands ouverts, mais plus interrogans que révélateurs. Les cheveux lisses, coiffés sans apprêt, font un casque noir à cette tête, qui peut être celle d’une Minerve comme celle d’une Laïs, — on ne sait jamais au juste. Quand on a bien regardé le portrait, il reste à examiner une demi-douzaine de tableaux absolument remarquables ; par exemple, il n’y en a pas un de plus qu’il ne faut pour orner les murs sans les surcharger : on dirait même qu’ils ont tous été faits sur commande, pour garnir exactement les panneaux. Puis on admire des statuettes, des ivoires, des nacres, des jades, toute une bimbeloterie artistique fort curieuse, mais pas plus abondante que de raison : on sent que tout a été mesuré, calculé d’après la superficie des murailles et des meubles, et l’on ne prendra jamais ce salon-là pour un musée, — ce qui, du reste, est tout à son avantage. Le mobilier est de tous les styles, ainsi qu’il est de mode ; les étoffes sont très riches, mais sombres, quelques-unes brodées de vieil or et de vieil argent.