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avec sa sœur dans un cottage des environs. J’avais déjà trop souvent constaté qu’il ne regardait pas Lilian d’un œil indifférent.

Heureusement qu’il était alors absent pour affaire de son métier. Et d’ailleurs n’eût-il pas eu lui-même de la peine, et beaucoup, à retrouver Bingo ? J’avais une véritable satisfaction à me le répéter.

— Vous êtes bien sévère et bien exigeante pour moi, Lilian ; mais, de grâce, dites-moi ce qu’il faut que je fasse ; parlez et vous serez obéie.

— Ra… ramener Bingo ! s’écria-t-elle.

— Ramener Bingo ! répétai-je consterné ; mais qui sait s’il n’est pas impossible de le retrouver ? il n’est peut-être plus dans le pays ! il est peut-être mort !

— Non ! non ! non !.. ni l’un ni l’autre, croyez-m’en. Ah ! quand je vous entends répéter sur tous les tons que vous aimez Bingo et que, d’un autre côté, je ne vous vois rien faire pour le retrouver, je ne puis m’empêcher de douter de votre sincérité, et j’en resterai toujours là tant que vous ne l’aurez pas ramené au bercail.

Inutile de discuter avec elle : je savais maintenant que j’avais affaire à une douce entêtée, qui ne se rendait pas facilement… Peut-être aussi avait-elle pris cet expédient comme moyen dilatoire… Je la quittai le cœur navré. Il était évident que, si je ne parvenais pas à lui ramener Bingo dans un très court délai, M. Travers verrait toutes les chances tourner en sa faveur, — et Bingo était mort ! Je ne jetai pas, néanmoins, le manche après la cognée. Si je pouvais du moins persuader à Lilian que je faisais réellement tous mes efforts pour retrouver l’objet perdu, elle finirait peut-être par se laisser toucher et me dispenser de le lui rapporter. Je me mis donc en campagne, allant voir des chiens de toute dimension, de toute race, de toute couleur ; je dépensai des sommes considérables en annonces dans les journaux, ayant soin bien entendu de tenir Lilian au courant de mes pas et démarches, hélas ! toujours inutiles. Mais rien ne pouvait la gagner, et tout ce que je pus en obtenir fut cette phrase plus ou moins encourageante :

— Avec de la persévérance j’ai la conviction que vous parviendrez à retrouver Bingo.

Je me promenais une fois dans le quartier, fort laid et fort sale, situé entre Bowstreet et High Holborn, quand j’aperçus, dans la montre d’un petit costumier de théâtre, une affiche annonçant qu’à une certaine date, un caniche noir avait suivi un gentleman, et qu’au cas où le chien ne serait pas réclamé et où celui qui l’avait trouvé ne recevrait pas la récompense promise, l’animal serait vendu pour payer les frais. J’entrai ; je pris un spécimen de l’affiche pour le montrer à Lilian, puis je me rendis à l’adresse indiquée.