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DANS LE MONDE.

— Tant mieux pour vous… et pour celle que vous pourriez épouser ! C’est une rage, à présent, de marier les jeunes gens tout petits ; on nous les prend trop tôt : c’est pour cela qu’ils nous reviennent si vite.

— Mais, fit Roger en rangeant Arabelle contre Coqueluche, je n’ai pas envie de m’en aller ; j’arrive…

Oh ! oui, il arrivait, le pauvre diable ! Il arrivait tout jeune, presque tout frais, le bec ouvert et la mine alléchée, avec cette candeur vicieuse du premier âge masculin. Elle était si jolie, cette Jane, si différente des femmes qu’il connaissait ! Il mordait ferme à l’hameçon. La fine mouche doubla l’appât en le retenant à déjeuner. On rendit, pour la journée, son box à Arabelle, et Roger s’en alla fort tard dans la soirée, aussi grisé d’amour et peut-être plus poétique encore qu’après son premier rendez-vous avec Madeleine. — Il faut dire aussi que cette Jane était une magnifique nature de courtisane, faite pour débiter l’amour à prix d’or à une clientèle de choix et sauver de la honte le plaisir vendu, en l’éclairant du rayonnement de toutes les grâces.

Quand Roger, le lendemain, revit la duchesse, il se sentit des scrupules… On alla, ce jour-là, se promener en voiture le long du canal, sous des ombrages qui connurent La Vallière avant Montespan et Montespan avant Maintenon, Châteauroux avant Pompadour et Pompadour avant Du Barry, — sans parler de celles qui remplirent les interrègnes ou servirent d’intermèdes.

VIII.

Un beau soleil, un peu de vent, pas mal de poussière ; bref, un joli temps pour un 12 avril à Paris. Devant le Palais de l’Industrie, le cheval en simili-bronze qui sert d’enseigne au Concours hippique donne l’exphcation de la grande alïluence d’équipages encombrant les abords du singulier monument. Au reste, de belles affiches jaunes, plus explicites encore que le cheval en simili-bronze, vous tirent l’œil de loin avec le cavalier qu’on y voit représenté, à une hauteur invraisemblable, au-dessus d’un terrifiant obstacle. C’est le dernier jour du concours : Exhibition générale des chevaux et attelages prijnés’, La Coupe, course d’obstacles pour chevaux de tout âge et de toute nationalité^ Longchampis de chevaux de selle. Tel est le programme attrayant de la fête. Très attrayant même, si l’on en juge par la quantité des entrans. Les voitures se succèdent, les tourniquets fonctionnent avec frénésie, les chevaux qui pénètrent dans le palais par la porte du milieu, la plupart tenus en main par des soldats en petite tenue, ont grand’peine à se frayer un passage