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hâté les négociations, c’est-à-dire pour avoir failli réussir. L’empereur Joseph II avait bien raison d’écrire à ce moment : « La France vient de tomber ; je doute qu’elle se relève. » Le comte de Montmorin n’avait donc pas eu à se louer du cardinal de Brienne.

La rentrée de Necker aux affaires, en donnant à Montmorin plus d’indépendance dans le cabinet, allait-elle lui porter bonheur ? L’heure arrivait où l’ancienne diplomatie française, celle fondée sur l’exécution du pacte de famille, devait faire place à la nouvelle politique révolutionnaire. A la veille du jour où l’une des plus grandes époques de l’ordre social s’ouvrit, on n’avait encore aucune idée précise sur ce que l’on ferait. Ceux qui exerçaient le pouvoir, à commencer par le roi, s’ils continuaient à parler en maîtres, obéissaient, en réalité, à la puissance invisible de l’opinion publique. Les possesseurs de privilèges étaient les premiers à s’excuser des avantages dont ils jouissaient. En voulant les conserver, ils prétendaient à l’honneur d’y être indifférées. Les abus n’étaient pas récens ; ce qui l’était, c’était l’impression qu’ils faisaient naître. S’il est vrai que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement soit celui où il commence à se réformer, il était impossible de ne pas voir que la nation marchait à un rapide dénoûment. Le trésor était à sec, les parlemens en exil, toutes les provinces agitées, la disette menaçante, les états-généraux promis solennellement et sans retard, Paris inondé d’un débordement de pamphlets et s’habituant déjà à ne plus travailler et à vivre dehors.

Nous ne voulons raconter les événement que dans la mesure où M. de Montmorin y prit part. La vie de Mme de Beaumont fut dans ces dramatiques années tellement mêlée à celle de son père qu’on ne peut passer son ministère sous silence. Nous devons, pour mieux comprendre pourquoi sa fille avait si peu d’attaches à la vie, faire connaître dans leurs détails cette série d’infortunes qui permettait à Mme de Staël de dire que la famille de Niobé n’avait pas été plus cruellement frappée.


II

Necker, dans sa retraite, voulant justifier sa conduite depuis les états-généraux, déclarait qu’il cédait à un mouvement de véritable peine. Il fallait, pour le soulager, qu’il associât à tous les soins, à tous les ménagemens rendus nécessaires par les événemens de chaque jour, un homme dont il ne s’était jamais séparé depuis son retour aux affaires et depuis » qu’if avait connu son excellent esprit, la fidélité de son caractère, un ami nouveau pour lui, mais très ancien par le rapport des sentimens, M. de Montmorin, ce