Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministre-citoyen, comme il l’appelle. « Que n’avons-nous pas fait ensemble, ajoute Necker[1], pour assurer les fondemens d’une liberté sage, pour les défendre tantôt contre les orages qui les menaçaient, tantôt contre les exagérations qui en affaiblissaient la base et dont nous prévoyions les dangers ! Nous excusions ou plutôt nous adoucissions auprès du roi les actions, les procédés et les manières dont il pouvait avoir à se plaindre, et près des députés, à l’assemblée nationale, nous tenions le langage qui pouvait calmer leur défiance et ramener les plus ardens à des opinions modérées. »

M. de Montmorin était, en effet, le seul qui connût la pensée de Necker. Aussi le suivit-il dans toutes les résolutions importantes qui précédèrent la convocation de la constituante, opinant comme lui dans le conseil et cherchant à l’excuser de cette infatuation qu’apporte aux plus honnêtes une immense popularité. Ils vivaient tous les deux au jour le jour, croyant, en présence de ce grand inconnu, à la soumission et à la reconnaissance. Quels projets avaient-ils arrêtés ? Quel plan s’étaient-ils décidés à accepter ? On est confondu, en allant aux sources, de voir combien peu de consistance politique révèlent les actes préparatoires. Tous les avant-coureurs de la révolution annonçaient cependant la nécessité de transiger avec l’esprit des temps nouveaux. Mme de Beaumont, très au fait par ses abondantes lectures, de tous les pamphlets et brochures, écrivait pour son père des résumés qu’elle plaçait sous ses yeux. C’est ainsi que, lors de l’établissement des assemblées provinciales par l’archevêque de Sens, Montmorin, plus éclairé, avait décidé que le nombre des députés du tiers serait égal à celui des deux ordres réunis et que le vote aurait lieu par tête.

Les avertissemens ne manquèrent pas, par d’autres côtés, aux ministres. Malouet, intendant de la marine à Toulon, s’était lié avec Montmorin, lorsqu’à son retour de l’ambassade d’Espagne il avait passé à Toulon. Il lui développa ses idées ; tout devait être prévu et combiné avant l’ouverture des états-généraux ; il fallait déterminer ce qui pouvait être abandonné sans danger et faire largement la part des besoins et des vœux. On devait ensuite se disposer à défendre même par la force tout ce que la violence des factions voudrait attaquer. Ce n’étaient pas les résistances des deux premiers ordres que Malouet, avec sa conscience élevée et pure, craignait alors le plus, mais l’exagération des prétentions des communes. Montmorin, au contraire, tenait plus de compte du mauvais vouloir du clergé et de la noblesse. Une fois élu à Riom, Malouet, fort mécontent de l’état des esprits, était revenu à Paris ; il avait de nouveau communiqué toutes ses réflexions à Necker et à

  1. Œuvres de Necker, t. IV, p. 79.