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Camille Desmoulins le rédigeait, et il fut avec Brissot le plus implacable ennemi du père de Mme de Beaumont.

Mais le conflit entre l’Espagne et l’Angleterre devait être pour la cause de la monarchie constitutionnelle l’occasion d’un échec irréparable. Irrité de l’outrage fait à l’honneur du pavillon britannique, le cabinet avait demandé réparation à la cour de Madrid. L’Angleterre se montrait d’autant plus susceptible qu’elle n’était pas fâchée de trouver un prétexte pour se mettre en mesure d’exercer son influence sur les événemens. Le pamphlet de Burke avait paru et avait semé l’effroi dans les âmes. Un armement considérable fut ordonné dans les ports anglais. L’Espagne, de son côté, réclamait de la France l’exécution du pacte de famille, la base alors de toute notre politique extérieure[1]. Par une lettre au président, dès le mois de mai 1790, Montmorin avait fait connaître à l’assemblée nationale les motifs qui rendaient nécessaire l’équipement de quatorze vaisseaux de ligne. L’Angleterre avait augmenté ses forces dans une telle proportion et avec une si fiévreuse activité que, dans une autre lettre du 1er août, il crut prudent de demander de nouveaux subsides extraordinaires.

La question du droit de paix et de guerre était en ce temps-là agitée dans toutes les têtes. Il suffisait d’un motif pour mettre en jeu les revendications. Lorsqu’Alexandre Lameth crut voir de graves inconvéniens à décider sur un cas particulier une thèse d’attribution constitutionnelle, il ne fut même pas écouté. La lice était ouverte. Qui n’a lu les harangues enflammées qui passionnèrent Paris pendant huit jours ! La tribune était devenue le champ de bataille où semblait de voir se décider la cause de la révolution. A la solution théorique d’un principe on attachait de part et d’autre, avec une égale ardeur, le triomphe ou le renversement de la constitution. L’intérêt immédiat avait disparu devant l’abaissement de la monarchie.

Mme de Beaumont, qui avait rencontré Morellet chez les Trudaine, avait tenté de tirer de sa plume un secours. Dès les premiers mois de 89, dans une lettre au maréchal de Beauvau, publiée dans le Mercure, l’abbé Morellet, avec un remarquable bon sens, avait répondu à des publicistes superficiels, osant affirmer qu’il n’y avait dans la constitution anglaise ni liberté personnelle, ni tolérance religieuse, ni liberté de la presse et que la nation obéissait aux volontés arbitraires d’un parlement oligarchique et corrompu. La fille de M. de Montmorin eût voulu qu’une brochure vînt en aide à la défense des prérogatives essentielles du roi, sapées dans leur dernier fondement. Mais Morellet était effrayé ; il fit la sourde oreille. La création du

  1. Archives nationales, cote K (n° 1340), Mémoires de Ferrières, liv. IV.