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s’accroître lorsque, après l’arrestation de la famille royale, on découvrit le passeport délivré sous le nom de la baronne de Korf. Cette fois encore, la foule voulut mettre le feu à l’hôtel de la rue Plumet. La santé de Mme de Beaumont reçut dans ces cruelles émotions la première atteinte grave. Les pleurs, les insomnies, les inquiétudes incessantes et mortelles que donnaient les violences populaires à une jeune femme vivant de la vie de son père et toujours à ses côtés, frappaient en elle les sources mêmes de l’existence. C’était, en effet, Montmorin, qui avait signé le passeport. Il lui avait été demande, par M. de Simolin, ministre de Russie, à qui il ne pouvait le refuser. Quatre commissaires furent désignés par l’assemblée : Rœderer, Gourdon, Camus et Muguet. Ils se transportèrent dans les bureaux des affaires étrangères, examinèrent la demande, compulsèrent les registres et rédigèrent un rapport favorable. Un député dit même que les éclaircissemens fournis par le rapporteur étaient si satisfaisans et qu’il était si important d’environner de la confiance publique un ministre n’ayant pas mérité de la perdre, qu’il était convenable d’ordonner l’impression et l’affiche du rapport. La motion fut décrétée et la conduite de Montmorin déclarée irréprochable.

S’il était du reste nécessaire, pour établir sa sincérité, d’ajouter d’autres preuves, nous les trouverions dans un document inconnu de ses ennemis. Le 21 juin 1791, il écrivait confidentiellement au comte de La Marck : « Je reçois dans l’instant une lettre du roi m’annonçant qu’il est parti : jugez dans quel état je dois être ; je ne sais ce qui va arriver. Je crois devoir rester. « Un autre témoignage non moins irrécusable nous vient de Malouet. Il avait, de concert avec l’abbé Raynal, préparé un plan de résistance peu différent de celui de Mirabeau, et il avait prié Montmorin de le présenter. Le roi avait dit non sèchement, et ce non avait fait pâlir l’abbé Raynal. Louis XVI leur laissa ignorer que ces mêmes mesures étaient précisément celles qu’il concertait avec M. de Bouillé. A son retour de Varennes, le roi eut une explication avec Montmorin et lui dit : « Je n’ai été empêché de m’ouvrir complètement à vous que par une seule considération, la peur de vous compromettre. Je ne pouvais vous emmener ; devais-je vous mettre dans le cas d’un parjure si, sachant mon secret, vous persistiez à le garder, ou vous exposer à la mort si vous avouiez en être le dépositaire et ne m’en avoir pas détourné. »

La méfiance populaire fut la plus forte ; elle s’est imposée même à l’histoire. L’Orateur du peuple, dans ses numéros 41, 47, 48, dénonce Montmorin en ces termes : « Et Montmorin, qui peut être la dupe du décret qui blanchit ce sépulcre de forfaits ? .. La tête de Montmorin devrait déjà être tombée sous le fer du bourreau… C’est lui qui a