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conscience qu’on ne violente, et son ministre atteste à l’Europe qu’il est heureux ! Quelle idée veut- il donc donner de sa sensibilité ? Non, M. de Montmorin n’a rien cru de tout cela, et c’est pourquoi je regarde comme un chef-d’œuvre de politique d’avoir, sans hésiter, adopté la lettre qui lui a été adressée par le club des Jacobins. »

Les doutes se répandent, en effet ; l’Orateur du peuple imprimait ces lignes[1] : « Quelle foi ajouter à ta lettre, plat Montmorin, petite vipère gonflée de tout le venin de l’ancien régime et que le peuple aurait dû mille fois écraser ! » Et dans un autre numéro : « Croyez-vous à la sincérité des sentimens consignés, avec tant d’affectation, dans la lettre de Montmorin aux cours étrangères ? Plus elle est patriote, plus elle doit être suspecte ! » Enfin, le Moniteur du 31 mai insère un extrait d’une correspondance de Francfort, dont voici le texte : « J’ai dans ce moment entre les mains les copies fidèles de deux contre-lettres envoyées en même temps que la déclaration, dont on a voulu qu’elles annulassent l’effet et qu’elles ont discréditée entièrement, »

Montmorin, de bonne foi, atteste, sur sa tête et son honneur, sa sincérité ; il était encore une fois trompé. Il n’en défend pas moins le roi.

Quinze jours après (21 juin) Dandré entrait, à six heures du matin, chez Montmorin, et lui apprenait la fuite de Varennes. Une lettre de Louis XVI, apportée au même instant, lui annonçait son départ et lui disait d’attendre ses ordres. Il oublia, dans ce moment, ses propres périls pour se livrer à la joie de savoir le roi, qu’il aimait, échappé au danger de la sortie de Paris. La joie fut courte. La nouvelle s’était répandue ; le peuple assaillit aussitôt l’hôtel de Montmorin, réclamant sa tête. Il put faire parvenir à son collègue de Lessart, chargé du ministère de l’intérieur, ces quelques lignes : « Je ne puis sortir, le peuple entoure ma maison ; on y a mis des gardes. S’il y a quelques démarches à faire auprès de l’assemblée nationale, je vous prie de me le faire savoir et de prier l’assemblée de donner des ordres pour que je puisse me rendre auprès d’elle. Je ne demande pas mieux que de lui rendre compte de ma conduite. » Il écrivait en même temps au président.

Ordre fut donné de dégager Montmorin. A l’interpellation qui lui fut adressée il répondit par ce simple mot : « Il y a à parier que, si j’avais donné au roi le conseil de partir, je l’aurais précédé ou suivi. » On l’invita, au milieu des applaudissemens, à reprendre sa place au milieu des ministres. Mais l’irritation populaire ne fit que

  1. L’Orateur du peuple, t. V et VI.