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paix. — En réalité, la doctrine de la paix universelle et de l’arbitrage international ne semblait pas devoir, après cette première manifestation, s’imposer aux méditations du peuple français. Cobden se fit illusion sur l’effet produit par le congrès de 1849. Mais il aimait les grands meetings, il avait toute confiance dans l’efficacité de ce mode de propagande. Les congrès de la paix qui se réunirent ensuite à Francfort, à Manchester, le comptèrent parmi leurs membres les plus exacts et les plus ardens.

Du reste, ses combats pour la paix ne consistaient pas seulement en sermons et en discours académiques. Comme membre du parlement, il était toujours sur la brèche. En 1850, il fit une vigoureuse campagne, lui partisan si absolu de la liberté des échanges et du crédit, contre les emprunts émis en Angleterre par la Russie et par l’Autriche, parce que c’étaient des emprunts de guerre et parce que, disait-il, le plus sûr moyen de tuer la guerre, c’est de lui couper le nerf. La même année, il combattait la politique de lord Palmerston dans les affaires de Grèce, lors du misérable incident de don Pacifîco, et il protesta contre le système d’intervention à outrance, qui compromettait à tout moment la paix du monde. De 1851 à 1853, il s’épuisa en efforts surhumains, il fit des discours, des articles, une longue brochure pour calmer la panique, vraie ou feinte, causée par les prétendus armemens de la France et pour arrêter le débordement ruineux de dépenses militaires auquel se laissaient entraîner ses compatriotes affolés. En 1854, il s’opposa de tout son pouvoir à la guerre de Crimée. C’en était trop ! Cette attitude persistante avait fini par devenir importune ; on l’attribuait à une monomanie. Cobden n’avait pas seulement contre lui les défenseurs de « l’intégrité de l’empire ottoman, » les partisans de l’alliance anglo-française, les adversaires systématiques de la Russie ; il se voyait en butte au ressentiment populaire, qui l’accusait de manquer de patriotisme et de vouloir « la paix à tout prix. » John Bull venait de remettre sa marine à neuf ; il avait payé un nombre formidable de canons et de fusils ; il s’était enrôlé dans la milice. John Bull voulait se battre. Que répondre à cela ? Les raisonnemens de Cobden et l’éloquence de M. Bright se brisèrent contre la violence du sentiment public. « La paix à tout prix ! » avec cela on a, en France, renversé une dynastie ; c’était plus qu’il n’en fallait pour avoir raison de deux hommes. M. Bright fut pendu en effigie, Cobden s’entendit huer dans les meetings. En quelques semaines, la popularité des orateurs de l’école de Manchester était perdue. Et cependant Cobden n’avait-il pas raison quand il prévoyait la stérilité de cette guerre de Crimée, qui a tant coûté ? Les puissances occidentales voulaient affaiblir la Russie et consolider l’empire turc. Aujourd’hui la Russie est plus forte et l’empire turc n’est pas moins