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qu’il parlait, ou plutôt qu’il prêchait en Angleterre, c’est-à-dire dans un pays où le gouvernement avait été jusqu’alors dominé par les influences aristocratiques, et qu’il avait devant lui Palmerston, dont la politique entreprenante, sinon brouillonne, cherchait ou acceptait volontiers des querelles dans toutes les parties du monde.

Dès 1849, Cobden, fidèle à son programme, soumit la question au parlement. Il présenta une motion pour demander que les cabinets étrangers fussent invités à conclure des traités en vertu desquels tous les différends seraient désormais soumis à un arbitrage. C’était l’organisation de l’arbitrage international. La motion fut rejetée. Cobden s’y attendait. Il raconte que, pendant les séances qui précédèrent la discussion, ses collègues le poursuivaient de leurs lazzi, le traitaient de visionnaire et d’utopiste, et le raillaient agréablement de prétendre jamais supprimer « l’institution de la guerre. » Mais il n’était pas homme à se laisser désarçonner par les plaisanteries ; il s’était relevé d’autres échecs, et il annonça simplement qu’il reviendrait à la charge jusqu’à extinction de la guerre. Le mois suivant (août 1849), nous le voyons à Paris au congrès de la paix, présidé par M. Victor Hugo, qui avait pour assesseurs Emile de Girardin, Bastiat, Joseph Garnier, des prêtres catholiques, des pasteurs protestans, des quakers venus exprès d’Amérique, quelques israélites et des dames. Le congrès tint séance pendant huit jours. Cobden y prit deux fois la parole devant un auditoire sympathique et avec un grand succès. Les lettres qu’il écrivait à Mme Cobden et à ses amis dans l’intervalle des séances expriment la plus entière satisfaction. Il dénombre les deux mille personnes qui, en plein été, ont pris part aux réunions ; il compte les salves d’applaudissemens qui ont accueilli ses discours ; il se loue de Paris, des Parisiens, de la presse, des autorités. Le ministre des affaires étrangères, M. de Tocqueville, son ami, a donné une soirée en l’honneur des membres du congrès ; pour eux également, on a fait jouer les grandes eaux de Versailles, et par une attention bien délicate (que l’on n’aurait plus aujourd’hui), le gouvernement a choisi pour ce spectacle le lundi, au lieu du dimanche, jour habituel des grandes eaux, afin de se conformer au sentiment religieux des Anglais. Partout une excellente réception. Tout au plus Cobden a-t-il observé quelques sourires, peut-être goguenards, au passage des quakeresses et de leurs étranges coiffures. Ces sourires s’adressaient-ils seulement aux quakeresses ? Il est probable qu’à ce moment, la population parisienne croyait plutôt revoir dans ce congrès d’un nouveau genre, dans ce club cosmopolite, quelque pastiche attardé des tableaux de la révolution de 1848, et qu’il s’associait très modérément à la pensée haute et généreuse qui inspirait les apôtres de la