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lever les prohibitions avant 1861. — Qu’à cela ne tienne ! répondit son interlocuteur. Nous ferons un traité au printemps, sauf à ne l’exécuter qu’en 1861 ; l’effet moral et politique sera le même. — Mais les industriels ? mais les ouvriers ? — À ce point d’interrogation auquel il était bien préparé, Cobden répondit par les argumens économiques puisés dans la doctrine et par l’exemple même de l’Angleterre. Il démontra que « toute réduction de taxes a pour effet un accroissement, et non une diminution, dans la demande du travail. » Il rappela ensuite l’historique des réformes accomplies par Robert Peel, la gloire et la vénération qui, aux yeux du peuple, entouraient la mémoire de cet homme d’état. « Je serais heureux, dit l’empereur, de rendre le même service à mon pays ; mais il est bien difficile ici de réaliser des réformes ; en France, nous faisons des révolutions, nous ne faisons pas de réformes. »

Ce premier entretien avait produit une certaine impression sur l’empereur, qui consulta M. Achille Fould et le pria de conférer avec Cobden. Par ses relations avec la haute banque, M. Fould pouvait observer mieux que personne le trouble et les inquiétudes que causait dans le monde des affaires l’excitation politique créée par les événemens extérieurs, excitation qui était entretenue par le langage de la presse et que l’attitude de lord Palmerston modérait peu. On avait bien imaginé une action commune en Chine. Les gouvernemens s’étaient entendus pour déclarer la guerre au Céleste-Empire ; afin de réconcilier l’Angleterre et la France, on n’avait rien trouvé de mieux jusqu’alors que de faire ensemble la guerre aux Chinois ! Cela ne suffisait pas ; la guerre de Chine, que Cobden avait critiquée pour sa part devant le parlement, n’était point populaire en Angleterre. M. Fould reconnaissait qu’il y avait « quelque chose à faire. » Mais il reculait devant la réforme des tarifs. Sans être partisan de la prohibition, il redoutait, au point de vue de la politique impériale, les mécontentemens que devait provoquer un changement dans le régime douanier. Il avait peur des industriels. Cobden employa tous ses efforts à- le rassurer sur ce point. Comme il rendait compte à Londres des objections qui lui étaient faites : « Je crois comme vous, lui répondit lord Palmerston, que l’empereur et ses conseillers s’exagèrent beaucoup la force de résistance qu’ils attribuent au parti protectionniste. Malheureusement, les hommes d’état français n’ont pas le courage moral, ils l’avouent eux-mêmes, et c’est là une des causes des fréquentes révolutions politiques qui se succèdent dans ce pays. » — À la fin pourtant, M. Fould se laissa entraîner ; il se résigna à la combinaison du traité de commerce, faute d’autre chose, et il promit de l’appuyer auprès de l’empereur.

Après avoir posé ces premiers jalons, Cobden repartit pour Londres au commencement de novembre. Il lui fut impossible de joindre