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le ministre des affaires étrangères, lord John Russell ; il vit lord Palmerston, qui, en réponse aux affirmations toutes pacifiques qu’il rapportait à Paris, l’entretint des milliers de tonnes de fer, des fusils, des canons, des cuirassés et même des bateaux plats qu’on disait avoir été commandés par le gouvernement français en vue de la guerre. Nous citons ces détails, qui montrent à quel point la pensée des principaux membres du cabinet anglais était éloignée d’un traité de commerce. « Je crois vraiment, écrit Cobden, que lord John attache plus d’importance à la rédaction d’un paragraphe bien senti sur le Maroc qu’à tous les efforts que je fais pour unir par les liens du commerce les intérêts de deux grandes nations ! » Et, à propos des visions guerrières qui hantaient sans cesse le cerveau de Palmerston : « Ne serait-il pas plus sage d’agir entre nations comme on le fait entre individus, de s’expliquer réciproquement sur la portée exacte des mesures qui, de part et d’autre, peuvent être mal interprétées ? Mais les gouvernemens ne pratiquent pas ces procédés trop simples, et ils se gardent bien d’observer les règles de bon sens qui sont à l’usage du commun des mortels. » Seul, M. Gladstone encourageait Cobden et l’invitait à persévérer dans l’accomplissement de sa mission.

Cobden retourna donc à Paris le 17 novembre. A la suite de conférences quotidiennes avec M. Fould et M. Rouher, celui-ci fut en mesure de rédiger les principaux articles d’un projet de traité qui devait être, le 10 décembre, placé sous les yeux de l’empereur. Lord Cowley avait observé que, depuis son entretien avec Cobden, l’empereur paraissait quelque peu refroidi à l’endroit du traité ; c’était, lui avait-il dit, une « grosse affaire. » La crainte des difficultés à surmonter, l’hésitation avait fait place aux résolutions de la première heure. À ce moment, M. de Persigny vint exprès de Londres ; il plaida chaudement auprès de l’empereur la cause du traité ; il s’agissait, disait-il, de la paix avec l’Angleterre, de la paix européenne, et du salut de la dynastie. Ce furent ces argumens qui, selon l’expression de Cobden, décidèrent une seconde fois l’empereur. Et cependant, tout n’était pas encore fini.

Le projet de traité, rédigé par M. Rouher, fut approuvé par l’empereur, qui donna ensuite lecture d’une lettre qu’il se proposait de publier, en l’adressant à M. Fould, ministre d’état, lettre développant le programme d’une politique de paix, d’une réforme libérale de la législation, et d’une série considérable de travaux destinés à faciliter les transports intérieurs et à rendre plus facile pour l’industrie nationale la concurrence à laquelle celle-ci allait être exposée. Toutes choses étant ainsi préparées, le moment était venu de révéler le grand secret, ou du moins d’associer à la confidence le ministre des affaires étrangères, M. Walewski, auquel incombait le