Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours l’ampleur manque ; déjà très faciles à saisir chez la Patti et l’Albani, ces qualités et ces défauts nous apparaissent comme signes de. race chez les deux charmantes jumelles de l’Opéra-Comique ; le calme, le dessin, l’autorité, bref, le style est ce qui leur manque. Mlle Van Zandt ne chante pas ; Mlle Nevada, je le répète, sait chanter, mais elle chante avec sentiment, avec effet plus qu’avec style ; on dirait que sa voix, dès qu’elle aborde un andante, perd cette aisance dont elle vous donne l’impression en jonglant avec les difficultés. Il faut l’entendre dans ses couplets du Mysoli enlever sa cadence finale ; c’est prestigieux. Mais que d’épisodes intéressans contient, en outre, cette partition : le duo entre Cora et Lorentz, la ballade du grand Esprit des bois, l’hymne guerrier, l’entracte-symphonie qui précède le troisième acte ! De son vivant, on reprochait à Félicien David de n’être pas un musicien de théâtre ; on le renvoyait à sa symphonie. Aujourd’hui c’est une autre histoire ; sa symphonie elle-même est démodée, et les maîtres de l’heure actuelle n’en veulent plus ; cela s’appelle en bon français n’avoir pas de chance.

Pauvre Félicien David ! lorsqu’il naquit, à Cadenet, dans sa Provence, aucune étoile ne dansait au firmament, ce qui n’a pas empêché sa musique de vivre et ne l’empêchera pas de survivre à bien de prétendus chefs-d’œuvre ; la Perle du Brésil, Lalla-Roukh, se joueront encore que telle grosse partition ne sera plus que de l’humus historique. Eh ! mon Dieu ! le côté faible de cette musique n’est pas un secret ; il lui manque la fièvre de l’inconnu, ce Nitimur in vetitum qui tourmente et désespère les générations tardives. Félicien David n’a cure d’innover. La langue d’Haydn, de Mozart, de Méhul, qu’il a reçue par tradition, suffit à l’expression de ses idées, et il n’en sort pas. « Avoir des idées, c’est la grande affaire, » nous disait un jour Verdi, et il aurait pu ajouter, pour compléter sa pensée : « Si l’on savait combien le reste est peu de chose ! » Dire qu’au temps où nous sommes, ce peu de chose-là doit compter pour tout ! De ce que la musique de la Perle du Brésil est faite à coups d’idées, on aurait tort de conclure que le contrepoint en soit relâché : la mélodie y plane à chaque instant au-dessus des harmonies les plus charmantes, et d’ailleurs cette rare distinction du travail symphonique général atténuerait beaucoup, si elle ne les supprime, les critiques adressées aux accompagnemens. J’allais oublier une autre querelle d’Allemand qu’il plaît aux algébristes de l’école de Bayreuth d’intenter à cette musique. On lui reproche d’avoir conservé les anciennes formes. Un opéra-comique qui renferme des airs, des duos, des quatuors, des romances, des couplets et des chœurs, voyez-vous pas le beau scandale ! Il est vrai qu’il y a moyen de se tirer d’affaire comme M. Saint-Saëns, qui naguère, dans son Henry VIII, rayant les mots, gardait la chose. Somme