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toute, les amis de Félicien David n’ont rien à craindre pour sa gloire, sa partition de la Perle du Brésil, triomphant à la fois du plus absurde des poèmes et de la malveillance des théoriciens, doit nous rassurer là-dessus.

C’est un virgilien, il vivra par son religieux sentiment de la nature : les batailles d’école sont pour les charlatans et les imbéciles, l’art veut des inspirés. Ayez une note, mais qui vous soit propre ; l’auteur du Désert a la sienne : l’Orient. « Pour lui, la nature s’était enrichie d’horizons nouveaux ; à quelques sites vulgaires et voisins des villes le peintre voyageur substituait l’Océan, l’Amérique, l’Italie, la Grèce, l’Égypte, la Judée, tous les grands points de vue de la terre et de l’histoire : cette solitude, artificiellement rêvée par Rousseau, il la faisait entrer dans la poésie et l’ajoutait comme une nouvelle scène au drame inépuisable du cœur. » Ces paroles de Villemain sur Chateaubriand seraient ici presque de circonstance. Ne creusons pas davantage l’analogie, mais constatons que cette nécessité où l’on se trouve, pour définir le coloriste, d’aller chercher des termes de comparaison parmi nos écrivains et nos peintres, prouve qu’avant Félicien David, cette note absolument pittoresque n’existait pas dans la musique. Nommer Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand ne suffit pas, il me faudrait aussi nommer Delacroix, Decamps et Marilhat, et quand j’aurais ainsi fait appel à tous ces interprètes merveilleux des pays du soleil, je n’aurais pas tout dit, tant qu’il me resterait à citer cet admirable livre d’Eothen, résumé de l’impressionnisme moderne et dont la symphonie du Désert, avec son abondance et son intensité de rythmes, de mélodies, de psalmodies, de dessins d’orchestre et de couleurs, vous apparaît comme la traduction la plus exacte. Auber, qui, volontiers, éludait les questions par un mot d’esprit, répondait à quelqu’un qui, dès le lendemain du succès, l’interrogeait sur l’avenir du compositeur : « Patience ! nous verrons cela plus tard, quand il descendra de son chameau. » Le malheur eût été justement qu’il en descendît ; ce qu’il n’a jamais fait, grâce à Dieu, car ce chameau symbolique, c’était l’Orient, le génie même de sa musique, l’Orient, sa conquête et sa raison d’être, et dont la note inspirée se reproduit partout dans son théâtre comme dans ses symphonies.

Un autre orientaliste, mais beaucoup moins convaincu, c’est M. Léo Delibes, orientaliste d’occasion, disons plutôt excursionniste. Avec lui, nous rentrons dans la fantaisie de la muse parisienne. Vous vous souvenez du Dieu et la Bayadère et du Premier Jour de bonheur ; n’en demandez guère davantage à la partition de Lakmé comme vérité fondamentale. C’est le même art de convention, subtil, délicat, habile, historié, émaillé selon le goût régnant. Inde anglaise ou chinoise, ne nous embarrassons point de ce détail. Tout poème qui se passe de nos