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récité avec un prêtre l’office divin, ainsi que l’office de la Vierge, il descendait de son palais, situé en face de la cathédrale, et se promenait dans la ville jusqu’à l’église de San Crispino avec ses conseillers, ses secrétaires, ses chanceliers, écoutant tous ceux qui voulaient lui parler, accueillant toutes les demandes légitimes, rendant sommairement la justice, lorsque les cas étaient simples, ou renvoyant les plaignans devant les tribunaux, auxquels il recommandait la célérité. Selon lui les lois obligeaient les grands aussi bien que les petits. Il l’apprend un jour à un de ses ministres qui avait négligé de payer certains objets livrés à sa propre maison. Le créancier ayant réclamé au prince même son paiement, Borso fait citer et condamner le débiteur devant les juges, puis reproche au ministre coupable le déshonneur auquel il a exposé son prince et lui enjoint plus d’exactitude à l’avenir. Dans une autre occasion, il montra avec éclat que les intérêts du peuple ne le laissaient pas indifférent. Giovanni Romei, à qui il avait affermé la perception des douanes, s’étant permis de criantes extorsions, il ne se contenta pas de lui enlever cette perception, il lui infligea un affront public, aux applaudissemens de tous les citoyens (1458)[1].

Ce qui frappe également lorsqu’on examine Borso dans les fresques du palais de Schifanoia, c’est son goût pour le luxe. Malgré ses édits somptuaires, il aimait les étoffés aux riches tissus, aux brillantes couleurs, non-seulement pour lui-même, mais pour les gens de son entourage, qui tous ici apparaissent avec des costumes recherchés. Il portait ordinairement, même à la campagne, des vêtemens en brocart d’or. Autour de son cou brillait presque toujours un collier qui avait coûté 70,000 ducats. On ne peut guère, sans avoir lu les chroniques du temps, se faire une idée de la magnificence qu’il déploya lorsqu’il fut solennellement proclamé duc de Modène et de Reggio et comte de Rovigo par l’empereur Frédéric III, venu à Ferrare (1452)[2]. En se rendant à Rome, où il allait recevoir de Paul II le titre de duc de Ferrare (1471), il s’entoura d’un appareil encore plus éclatant. Les cent cinquante mules qui portaient ses équipages étalent couvertes de velours cramoisi brodé d’or, ou de drap blanc, rouge et vert. Ses chambellans

  1. Les peintres n’ont pas été seuls à célébrer l’amour de Borso pour l’observation des lois et pour l’équité. Sur le revers d’une médaille anonyme de Borso, on voit la Justice assise, tenant de la main gauche des balances et de la main droite un glaive menaçant. Devant elle se trouvent des oiseaux de proie, dont l’un déchire un agneau ; ils symbolisent les crimes qu’elle se charge de punir. (Voyez la reproduction de cette médaille dans les Médailleurs travaillant à la cour de Ferrare au XVe siècle, par M. Heiss.)
  2. Il marchese era vestito di broccato d’oro con adornamenti di giois di gran prezzo : tra le quali però tre erano preziosissime, due nella beretta, et una alla spalla sinistra. (Pigna, Historia de’ principi di Este, p. 683.)