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de troubler l’état. » Il continua sur ce ton hautain : s’il était sorti de la retraite où il s’enfermait, c’est parce que l’audace de quelques-uns devenait trop grande; tous les jours on prêchait l’extermination des huguenots. Depuis la publication de la paix, on en avait tué plus de cinq cents en divers lieux; quand on se plaignait, on n’obtenait que des paroles ou du parchemin. Les catholiques ne pouvaient rien reprocher aux protestans : « Si est-ce qu’il n’y a lieu en France, nulle si forte place, citadelle ou château, où les prêtres demeurent et célèbrent leurs cérémonies et mesmes avec plus de seureté qu’en ma ville de Chastillon. » (Hotman, Vie de Coligny.) L’amiral tint pareil langage, le lendemain, au prévôt des marchands et au parlement. Le président de Thou, dans sa réponse, parla de César et de Pompée, « César étant dans la ville. Pompée y entra avec ses armes... Et toutefois Pompée se contint si bien et se montra tant amateur de république qu’il ne voulut rien esmouvoir; ainsi Dieu vous veuille inspirer de faire comme ledit Pompée. » Coligny ne goûta pas trop ces comparaisons classiques : « La cour, dit-il, lui faisoit grand honneur en le comparant à Pompée; mais il luy sembloit qu’il n’y avoit nulle occasion de luy proposer cet exemple, n’y de faire comparaison de luy à Pompée, vu qu’il n’y avoit point de César à Paris. » Après avoir été saluer le duc d’Anjou à Saint-Germain, l’amiral repartit le 30 janvier pour Châtillon. A la suite de ces incidens, le roi défendit l’accès de la capitale aux personnes suivantes : Monsieur de Guise, Monsieur d’Aumale, Monsieur de Longueville, Monsieur de Nevers, Monsieur l’admiral, Monsieur d’Andelot, Monsieur de La Rochefoucauld, Monsieur le prince de Porcien, Monsieur de Soubize » et quelques autres. On essayait ainsi, en quelque sorte, de neutraliser la capitale du royaume. Catherine de Médicis n’eût pas mieux demandé que de neutraliser le royaume entier; mais les passions catholiques et protestantes ne perdaient rien de leur ardeur. L’entrevue de Bayonne, qui avait eu lieu pendant l’été de 1565, avait jeté les réformés dans les plus vives alarmes ; l’amiral fut appelé quelque temps après cette entrevue à Moulins, où se rendait Catherine de Médicis. Le débat entre les Châtillon et les Guises fut soulevé de nouveau dans cette ville et, le 29 janvier 1566, l’innocence de l’amiral fut proclamée par un arrêt royal. En présence du roi et à sa demande, le cardinal de Lorraine embrassa l’amiral et ils se promirent de ne garder aucun ressentiment l’un contre l’autre. Voulait-on ainsi endormir Coligny, lui inspirer une fausse confiance et lui persuader que les bruits répandus après l’entrevue de Bayonne étaient mensongers? Qui pourrait exactement le dire? Catherine de Médicis craignait et détestait Coligny, elle songeait peut-être déjà à le mener, les yeux