Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/686

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bandés, au piège où il devait périr, sans bien savoir encore où, quand et comment il serait tendu. Le biographe de Soubise prétend qu’à Moulins, déjà l’on fut sur le point de massacrer les chefs des réformés ; la reine avait entendu le duc d’Albe dire à Bayonne « qu’une tête de saumon valait mieux que cent grenouilles. » « Déjà le maréchal de Bourdillon et le comte de Brissac estoient entrés dans la chambre de la reine (qui cependant se devoit retirer dans un cabinet) estant armez de maille par dessoubs, et devoit le comte de Brissac prendre une querelle d’Allemagne contre monsieur le prince, pour avoir l’occasion de mettre la main à l’espée avec ceulx qui estoient attirez pour cette exécution. Mais il prit une soudayne peur à la royne, de sorte qu’elle empescha lors que l’entreprise ne fût exécutée. » Le bruit courut dans Moulins que l’amiral allait être assassiné ; « un gentilhomme, raconte Brantôme, Italien francisé, l’alla trouver pour s’excuser à lui, parce qu’on avoit dit dans la ville qu’il vouloit le tuer. Coligny ne fit qu’en rire et luy dict seulement qu’il le pensoit moins de luy que d’homme de la cour pour faire ce coup-là ; le taxant froidement par ce mot, qu’il n’estoit pas assez courageux et assuré pour faire ce coup. » Le 8 mars, Coligny était de retour à Châtillon avec son oncle le connétable et son frère François.

Les années écoulées depuis la bataille de Dreux et la paix d’Amboise n’avaient été qu’une trêve : des deux côtés on se préparait à des luttes nouvelles. La réconciliation entre les Châtillon et les Guises ne pouvait être que sur les lèvres. Coligny avait été très lent, une première fois, à la guerre civile ; mais désormais il ne s’appartenait plus pleinement, il était devenu le chef d’un parti à la fois religieux et politique, et ce parti voyait avec une terreur croissante que tout se liguait contre lui ; les frontières de la France avaient été insultées par le duc d’Albe, qui allait punir les mécontens des Pays-Bas. La marche des Espagnols avait servi de prétexte à la cour pour faire de grandes levées en Suisse, et les protestans se demandaient si ces levées devaient bien servir contre les régimens de Philippe II. Une fois encore, ils eurent à examiner s’il fallait attendre ou donner les premiers coups. Nous allons suivre Coligny dans ces luttes nouvelles et l’accompagner jusqu’à la Saint-Barthélemy.


AUGUSTE LAUGEL.