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une autre! » mais le roi s’écria : « Non! cela suffit. » Et les choses durent en rester là[1]. »

Les chansons bachiques sont un accompagnement obligé de ces sortes de prouesses fréquentes parmi les étudians. La littérature nationale en offre une grande variété. Sans remonter jusqu’à Hagedorn, l’Anacréon allemand, nous citerons une des pièces les plus célèbres du répertoire : Grad’ aus dem Wirthshaus, œuvre d’un ancien ministre des cultes prussien, M. de Mühler, réactionnaire, protestant « clérical, » et poète à ses heures :


Je sors du cabaret. Rue, que tu me semblés étonnante; le côté droit, le côté gauche, tout est brouillé. Rue, je le vois bien, tu es ivre.

Quel visage de travers, lune, me fais-tu donc? — Elle tient un œil ouvert, l’autre fermé; tu as bu, cela est clair. Honte à toi, honte à toi, vieille lune !

Les réverbères maintenant, que vois-je? ne peuvent rester fixes; ils branlent et vacillent en tous sens. Ils me semblent tous ivres morts.

Autour de moi, en grand, en petit, c’est un tourbillon; m’y hasarder, moi qui suis seul à n’avoir pas bu, hum ! cela me paraît mériter réflexion ; ce serait un coup de tête. Rentrons au cabaret.


Voilà l’ancienne chanson classique par excellence et le chef-d’œuvre du genre. M. Scheffel y a introduit le goût romantique, l’appareil moyen âge, ne faisant en cela que suivre la mode qui s’est répandue dans l’ornementation des cabarets. De savans architectes ont reconstitué dans certaines villes d’Allemagne l’antique taverne germanique, die altdeutsche Weinstube, et les Parisiens ont imité les Allemands, car ils se plaisent à boire les breuvages les plus modernes sur des tables en style renaissance dans des salles ornées de tapisseries où trône l’image du Teuton Gambrinus. Le poète allemand s’est mis en quête de sujets appropriés à cette architecture, et il a célébré l’ivresse gothique et ogivale avec force vieilles formes et vieux mots hors d’usage, revernis et repolis, à l’usage d’un public d’érudits, portant lunettes. C’est ainsi qu’à l’occasion de la XXVIe assemblée générale des philologues allemands réunis à Heidelberg en septembre 1865, dans une pièce de vers farcie de notes savantes et de renvois, il fait la nomenclature de tous les vases, amphores, outres et tonnes où les divers peuples ont enfermé la liqueur précieuse; mais le grand tonneau d’Heidelberg l’emporte sur les autres tonneaux, comme l’ivrognerie

  1. Graf Bismarck und seine Leute, von Dr Moritz Busch, vol. I, p. 347-348, 1878. Leipzig.