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les croix, les vieilles pierres, les anciennes médailles, les sépultures, les peintures, les églises, relever soigneusement les inscriptions, etc.. » « Et surtout, ajoute M. Scheffel, ruminer en voyageant ses meilleures pensées[1]. » Fidèle à ce programme, après les préparations nécessaires et les études préalables, le docte antiquaire a fermé ses livres, bouclé son havresac, saisi le bâton du pèlerin fervent et infatigable. C’est de cette méthode que sont sortis les poésies et le roman historique, qu’il nous reste à faire connaître au lecteur.

Les sujets en sont empruntés au moyen âge, dont M. Scheffel, comme beaucoup de lettrés et d’artistes de son pays, est un amateur ardent, un dévot. Le mouvement romantique, bientôt épuisé chez nous, où il a été surtout affaire de costumes et de décor, a beaucoup poussé en Allemagne à une étude approfondie des œuvres littéraires et de l’esprit de cette époque. En France, cette étude n’est guère sortie d’un monde restreint d’érudits dont la science et le zèle désintéressés ont été surtout appréciés dans les universités d’outre-Rhin. Au contraire, en Allemagne, cette langue et cette littérature sont demeurées pour les poètes un objet constant de recherche et d’imitation. Goethe, Uhland, Henri Heine ont dérobé aux légendes, aux chants populaires leur exquise et pénétrante simplicité de forme, leur inaltérable fraîcheur. Puis le patriotisme s’en est mêlé. Possédés d’aspirations unitaires au milieu du morcellement de leur patrie, après des déceptions si souvent éprouvées, les écrivains allemands demandaient au passé l’oubli, la consolation du présent, le pressentiment d’un meilleur avenir, l’espoir de ranimer un jour la splendeur éteinte et de relever la nationalité presque anéantie. Ainsi s’explique comment ils apportaient à ces études d’archéologues et de lettrés l’ardeur des luttes politiques. En pénétrant dans l’histoire de leur vieil empire, en publiant des éditions et des commentaires multiples des anciens poèmes, en recueillant pieusement dans des livres innombrables les chants populaires qui ont jailli des profondeurs mêmes du génie national et qui correspondent pour les peuples aux phases de leur développement, le but était de glorifier l’antique éclat de l’esprit germanique, — die altdeutsche Herrlirhkeit.

Lorsque M. Scheffel a choisi pour thème des poésies lyriques qu’il a réunies sous le titre de Dame Aventure, — nom de la muse ou de la fée si souvent invoquée par les poètes du moyen âge, — la glorieuse époque du XIIIe siècle, le siècle des Hohenstaufen et des chevaliers poètes, le siècle qui a produit les Nibelungen et le

  1. Préface de Juniperus, page II.