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germanique au XIIIe siècle. Ces étudians allemands, — fahrende Schüler, scholastici vagantes, — étaient pour la plupart de jeunes ecclésiastiques séculiers, parcourant le monde pour gagner leur vie, se louant pour un temps comme maîtres d’écoles, chantres ou vicaires. Ils voyageaient en compagnie des devins, des trompettes, des chercheurs de trésors qui étonnaient et abusaient le peuple par leurs expériences physiques. A un esprit juvénile, plein d’insouciance et de malice, ils joignaient une haute culture sans pédantisme, que nous révèle la bonne latinité de leurs chants. Ce contraste a fait d’eux les héros préférés de M. Scheffel : « Comme un écolier errant je voyageais en pays étrangers, » dit-il au début du Trompette de Säkkingen, et Werner Kirchhof n’est aussi lui qu’un scholasticus vagans. Dans toutes ses excursions pédestres, notre auteur emportait les Carmina burana. Assis sur l’herbe poudreuse de la route, il sentait, en lisant ces chansons latines, son âme vibrer à l’unisson de ces poètes de grand chemin. Aussi les a-t-il imités avec une virtuosité toute scolaire. Mais ce sont là des sujets qui intéressent moins le public étranger.

L’auteur qui vient de nous peindre dans son animation le monde des chevaliers poètes et des étudians voyageurs du XIIIe siècle nous introduit par une de ses œuvres les plus répandues, le roman d’Ekkehard, au milieu des moines allemands du Xe siècle. Sous l’uniformité de la règle et du froc, M. Scheffel dessine avec beaucoup de relief une foule de figures très variées, prises dans ces cloîtres qui ont renfermé pendant des siècles ce qu’il y a eu de meilleur dans la société humaine. Comme la préface nous l’explique, l’époque choisie par le romancier fut un temps de transition et de renouvellement, de civilisation naissante sur un fond de simplicité primitive. L’esprit de féodalité n’était pas encore développé, les dieux du paganisme continuaient à vivre dans la foi nouvelle sous forme de démons; la classe la plus éclairée, le clergé, était composée de grossiers personnages, presque tous honorables, qui échangeaient des injures et parfois des coups, mais qui sous cette épaisse enveloppe n’étaient pas moins accessibles à toute noble aspiration. Cette société nous frappe par sa naïveté, sa force, son courage viril. Le moine qui le matin traduisait Aristote dans sa cellule se délassait l’après-midi dans la forêt, en chassant avec la lance l’ours et le loup ; il quittait son livre de prières pour ceindre l’épée et défendre son pays contre les incursions des Hongrois. Il y avait dans la vie d’alors une joie d’action et de travail inépuisable. Les cloîtres allemands étaient enflammés de cet enthousiasme pour les anciens que l’on verra renaître au XVIe siècle; l’art entrait dans une première et légère floraison. — Ces traits généraux se révélaient au romancier à mesure qu’il s’enfonçait