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elles doivent user d’une grande prudence et d’un discernement habile dans le choix des affaires à recommander, puisque la confiance de leur clientèle en dépend et que l’accessoire pourrait dans bien des cas nuire au principal. Leur premier rôle, en effet, consiste à rester le caissier, le dépositaire, l’emprunteur et à la fois le prêteur du public, non-seulement d’un public spécial et restreint, mais du grand public, c’est-à-dire de tous, grands et petits, et surtout de ces derniers, qui forment le très grand nombre. C’est une œuvre démocratique par excellence, une œuvre plus vaste et plus utile en France qu’en tout autre pays, puisque la fortune mobilière y est plus répandue que partout ailleurs, qu’elle circule dans toutes les mains, qu’elle dépasse en quotité celles des autres peuples, et il faut applaudir par conséquent ces sociétés qui se sont mises au service de celui qui a plus d’esprit que Voltaire, plus de fortune que Rothschild et plus d’autorité que le roi.

Pour gérer de si grands intérêts, les sociétés de crédit exigent une vigilance constante et une prudence extrême ; l’administration n’en est rien moins que facile, et il faut reconnaître que, dans les derniers événemens, plusieurs de ces établissemens ont été victimes de leurs propres fautes. Quelques-uns ont succombé et se sont liquidés avec de grandes pertes ; d’autres végètent encore et ne reviendront peut-être jamais à la santé; tous ont plus ou moins souffert. Mais il ne faut pas oublier qu’ils ont subi le contre-coup de la politique générale, de la mauvaise gestion de nos finances, des brusques révélations d’une dette flottante énorme, d’un déficit considérable et des périls dont l’exagération de certaines dépenses menace dans un avenir prochain le budget de l’état. Si la négociation des titres mobiliers est moins active, si les pertes de la spéculation exigent des retraits de fonds, si les achats de valeurs étrangères font sortir de France les capitaux de l’épargne, les sociétés de crédit en portent la peine, elles ont dû toutes passer par de mauvais jours, mais le calme qui a déjà repris se fera sans doute dans les esprits, et celles qui auront le mieux résisté à la tempête n’auront qu’à se louer du retour de confiance revenu après l’orage. Elles reprendront alors vis-à-vis du public leur rôle spécial, rôle si différent de celui des banquiers proprement dits, auquel aucun d’eux ne pourrait suffire, auquel aucun ne s’est substitué, pas plus que les sociétés de crédit ne peuvent jamais aspirer à remplacer la personnalité éminente de nos hauts barons de la Banque de France? Est-ce que les correspondans de ceux-ci obtiendraient ailleurs les conseils, les renseignemens, les confidences qui font du banquier le conseil, le guide, l’associé pour ainsi dire de son client? Mais, d’autre part, est-ce que le public en masse pourrait